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Nécrologie : FRANÇOIS MÉNARD, alias “LA LETTRE G”

E.T. N° 404. Novembre-décembre 1967

Notre confrère Le Symbolisme vient de perdre un de ses plus anciens rédacteurs, François Ménard, décédé à Melun le 8 juillet 1967. Né en 1901 dans un petit village du département de l’Indre, il entra de bonne heure dans la Maçonnerie. Très studieux, et d’une curiosité intellec­tuelle insatiable, il connut très jeune l’œuvre de René Guénon, auquel il rendit plusieurs fois visite alors que le Maître demeurait à Paris, rue Saint-Louis-en-l’Ile. M. Marius Lepage nous dit que, Ménard disparu, il ne reste plus qu’un ami de ce dernier, M. Léo Mérigot, qui ait eu, en qualité de Maçon, des relations directes avec René Guénon 1.

On aimerait connaître quelque chose des conversations qu’eut à cette époque le jeune Maçon de l’Obédience mixte « Le Droit Humain » avec le Maître déjà « recon­nu » qui se disposait alors à quitter l’Europe sans toutefois que son intérêt pour les choses maçonniques fût en rien diminué, bien au contraire. A notre connaissance, Ménard, qui était la discrétion et la modestie mêmes, a gardé le silence sur de tels entretiens.

C’est Ménard qui fit connaître à M. Lepage l’œuvre guénonienne. A partir de 1931, tous deux travaillèrent côte à côte, notamment au sein d’une Loge « sauvage » 2 présidée par Oswald Wirth, et qui travaillait à la « resti­tution » d’un rituel « écossais » traditionnel. Mais c’est surtout en tant que rédacteur au Symbolisme que l’œuvre maçonnique de Ménard devait se révéler importante.

C’est en octobre 1931 que commença cette collabora­tion. Le premier article dont Guenon ait rendu compte parut en août 1931 et était signé « François Ménard et Marius Lepage » ; chose assez singulière, il avait pour titre  : Eglise et Franc-Maçonnerie 3.

Dès lors, la collaboration de Ménard au Symbolisme allait se poursuivre durant de longues années et ne cesser qu’avec sa mort. Du Caire, Guenon suivait ces travaux, prompt à la « critique » en cas de nécessité, heureux quand il pouvait approuver, sympathique et affectueux toujours. C’est un hommage éclatant qu’on peut rendre à François Ménard en rappelant que c’est l’auteur le plus souvent cité et « loué » dans les Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, sans même excepter Charles Clyde Hunt, Grand Secrétaire de la Grande Loge d’Iowa, et l’équipe rédactionnelle du Spéculative Mason 4.

En novembre 1948, Ménard, tout en continuant à écrire sous son patronyme, commença à signer « La lettre G » une série d’articles touchant à ce qu’on pourrait appeler l’ « attitude » de l’initié face aux contingences du monde moderne. Guénon eut le temps de parler avec estime des quatre premières de ces études : « Le Marxisme », « L’Opportunisme de l’initié », « La Tolérance », « Sa­gesse et Initiation ».

A notre avis, les articles et comptes rendus signés « La lettre G » sont parmi les meilleurs de François Ménard. Mais d’ailleurs tous les travaux de cet auteur contiennent des vues intéressantes 5, car il fut incontestablement le plus « guénonien » des rédacteurs du Symbolisme. Guénonien, Ménard l’était dans toute la mesure où il avait reconnu en Guénon un serviteur exclusif de la Vérité. Et lui, pour qui l’amitié avait tant de prix, savait à l’occasion dire à ses amis des vérités parfois désagréables, car il estimait que l’amitié même n’a pas de droits supérieurs à ceux de la Vérité.

Afin de montrer la « fermeté » guénonienne de Fran­çois Ménard, la vigueur de sa pensée, et aussi — pour­quoi ne pas le dire ? — la « jeunesse » de son style, nous citerons la conclusion du dernier texte signé « La lettre G », où il dénonce sans ménagements certaines tentatives d’« utilisation » de la Maçonnerie, et déplore l’insuffi­sance des réactions suscitées par ces tentatives.

« Or, c’est là justement qu’il aurait fallu répondre à M. Alec Mellor pour ruiner dans l’œuf son « grand dessein ». Il est pourtant élémentaire qu’entre « religion » et « initiation » il y a un hiatus que toute la dialectique « jésuite » (au meilleur sens du terme) de M. Mellor ne saurait combler. C’est là le point crucial que l’on ne semble pas vouloir traiter, car il faudrait entrer dans les idées de Guénon (Aperçus sur l’initiation, chap. XI, p. 72), ce Guénon dont on admet sans rire la « cécité » à propos de certains documents historiques, alors qu’on sait bien qu’il a qualifié l’Histoire de « science vaine » 6.

…« Comment ces auteurs ne voient-ils pas qu’il suffi­rait de dire à M. Alec Mellor : « Nous ne parlons pas la même langue ! » pour couper court à son « grand des­sein » ? Mais pour cela il faudrait parler la « langue des initiés » et faire ressortir nettement l’insuffisance et la médiocrité des arguments sentimentaux, politiques, théologiques, de l’auteur. Malheureusement, combien y a-t-il de Maçons capables de l’utilisation correcte de ce langage ? On a bien l’impression que les Vénérables Frères sont très loin d’entrer dans ces vues et en mesure d’utiliser ce moyen. Alors il est bien plus facile, mais beaucoup moins convaincant et efficace, de suivre l’au­teur dans ses détours subtils et de faire appel à Voltaire en reconnaissant « son admirable courage » … Dans ces conditions, la polémique stérile peut encore continuer des décennies, pour la plus grande joie des adversaires de l’Ordre. A quoi bon ? » 7…Telles sont les dernières lignes qu’ait écrites « La lettre G ». En les traçant, Ménard avait-il le pressenti­ment de sa fin prochaine ? En tout cas, nous considé­rons ces lignes, pour notre compte, non pas comme un « signe de détresse », mais plutôt comme un « testament philosophiques ».

Pas plus que nous n’avons connu René Guénon, nous n’avons eu de relations personnelles avec François Ménard, Ce n’est donc pas à nous qu’il appartient de dire ses qualités de cœur. Elles ont séduit et conquis ceux qui l’ont approché. On a pu écrire de lui : « Il comprenait tout, il excusait tout ». Caritas omnia suffert, ormnia crédit, omnia sustinet. Il nous plaît qu’ait été appliquée au non-chrétien François Ménard la célèbre sentence paulinienne que les « Fidèles d’Amour » transposaient dans l’ordre initiatique en l’appliquant à leurs « anciens en fidélité » : les soldats de la Milice du Temple.

Le Frère François Ménard, alias « La lettre G », en Maçonnerie « Gabaon » — qui est un nom de victoire — est passé à l’Orient Éternel. A sa veuve, Madame François Ménard, et à son fils, Monsieur Michel Ménard, nous adressons, au nom de beaucoup d’amis du côté des Études Traditionnelles, nos respectueuses et fraternelles condo­léances.

D.R.

  1. Mais, bien entendu, d’autres personnes, qui connurent Guénon et qui sont encore vivantes, ont pu entrer plus tard dans la Maçonnerie.
  2. On désigne ainsi des ateliers composés de Maçons de diverses appartenances qui se réunissent occasionnellement sans « patente de constitution ». En France les Obédiences ferment plus ou moins les yeux sur ces « tenues clandestines ». Toute­fois, la Loge dont il est ici question se réunissait au siège même de la Grande Loge de France.
  3. Cf. Etudes sur la F.M., t. I, p. 184.
  4. Comme exemple de l’intérêt des articles de Ménard, nous citerons sa Contribution à l’étude des outils, dont Guénon a pu dire qu’elle « pourrait servir en quelque sorte de base à une restauration des rituels du grade de Compagnon, dans lesquels se sont introduites de multiples divergences quant au nombre des outils qui y interviennent et à l’ordre dans lequel ils sont énumérés ». (Etudes sur la F.M., t. II, p. 172.)
  5. Cf. sa Chronique de la Contre-Initiation (Symbolisme de juillet 1964, pp. 468-469), où il signale le caractère « redouta­ble » de certaines publications actuelles.
  6. Ménard fait ici allusion notamment à certain « docu­ment suédois » autour duquel on a mené grand bruit ces der­nières années. De telles discussions sont d’ailleurs entièrement dépassées, maintenant qu’on commence à regarder de près les documents authentiques de la Maçonnerie opérative, et même, tout simplement… l’encyclopédie de Mackey. Les « positions » maçonniques de Guénon sortent, de telles lectures, singulière­ment renforcées. Et nous espérons bien que cela ne fait que commencer…
  7. Le Symbolisme, octobre 1966, pp. 94-96.

E.T. N° 412-413 Mars-avril et Mai-juin 1969

Dans le Symbolisme d’octobre-décembre 1968, M. Marius Lepage critique le dernier ouvrage de M. Alec Mellor : Catholiques d’aujourd’hui et Sciences occultes. Ses observations portent principalement sur l’astrologie et sur la magie. A propos de cette dernière, dont M. Lepage note la décadence actuelle et la quasi-disparition dans le monde occidental, nous rappellerons la remarque de Guénon : la magie, sous ses aspects les plus inférieurs, a simplement changé de nom. Sous le masque de la “science psychique” et plus précisément de la psychanalyse, qui lui permet de se parer de tous les “prestiges” de la science moderne, la magie noire fait actuellement des progrès effrayants. Sa pénétration dans des milieux religieux qu’on aurait pu lui croire inexorablement fermés constitue en vérité le plus sinistre de tous les “signes des temps”.

Dans ce même numéro, M. Pierre Morlière donne un assez long article intitulé : Les deux grandes Colonnes et leurs Significations ésotériques, où l’on trouve une abondante documentation empruntée surtout à la Maçonnerie de langue anglaise. Pour ce qui est de l’interprétation des noms de ces colonnes, nous pensons que l’auteur aurait pu accorder quelque importance à une tradition anglaise qui est parvenue jusqu’à nous dans les rituels d’outre-Manche. Le nom de chaque colonne a une signification isolée ; et ces deux noms ont ensemble une “signification conjointe”. La chose n’est pas sans intérêt : la colonne J symbolisant l’ensemble des potentialités masculines, et la colonne B l’ensemble des potentialités féminines, la “signification conjointe” doit se rapporter à l’union des complémentaires, c’est-à-dire à la “réintégration” de l’Adam-Qadmon de la Kabbale hébraïque ou du couple Adam-Hawâ de l’ésotérisme islamique.

On trouve aussi dans ce numéro plusieurs articles concernant le Régime Ecossais Rectifié. M. Jean Saunier donne des Eléments d’une bibliographie et aussi une étude intitulée : Le caractère chrétien de la Maçonnerie Ecossaise Rectifiée. Nous trouvons dans ce dernier travail l’écho de certain griefs des autorités religieuses catholiques contre les organisations maçonniques spécifiquement chrétiennes : ” L’Église catholique et certaines Églises protestantes ont toujours marqué de la défiance à l’égard des doctrines professées par les maçons ; et, loin d’être considéré comme rassurant, le caractère chrétien apparaît aux yeux de certains comme une sorte de circonstance aggravante”. Pour notre compte, nous comprenons parfaitement une telle méfiance. M. Saunier mentionne à ce propos M. Alec Mellor qui, “dans un exposé récent s’est fait l’écho d’inquiétudes de cet ordre” et qui a été jusqu’à parler du “caractère frelaté du christianisme de la Maçonnerie Rectifiée”. Nous n’avons pas à intervenir dans des discussions de ce genre ; mais nous pouvons ajouter une observation trop souvent négligée : les condamnations pontificales de 1738 à 1968, n’ont jamais fait aucune différence entre Maçons “christianisants” et Maçons supra-confessionnels, entre Maçons “déistes” et Maçons soi-disant agnostiques, et à plus forte raison, entre Maçons réguliers (au sens que M. Alec Mellor donne à ce terme) et Maçons irréguliers.

M. Jean Chardons traite enfin de La règle morale du Régime Rectifié. Promulguée au convent de Wilhelmsbad, elle avait été composée par le baron de Türckheim, grand ami de Willermoz. Que dire de cette règle ? Les extraits qu’en donne M. Chardons ne s’élèvent guère au dessus du niveau le plus exotérique. Et pourtant, la morale, comme les autres éléments de la religion, pourraient et devraient être transposés dans une perspective véritablement ésotérique. M. Chardons note justement le style grandiloquent et même ampoulé (et empreint assez souvent de sentimentalisme à la Rousseau). Pour notre compte, nous pensons que, si une règle morale devait être communiquée lors de l’initiation d’un Apprenti Maçon, il serait bien préférable d’avoir recours à l’un des deux Codes maçonniques que Camille Savoire, illustre Maçon du Rite rectifié a inséré dans ses Regards sur les Temples de la Franc-Maçonnerie. Ces deux codes ont au moins l’avantage d’être d’une brièveté qui rappelle celle du Décalogue.

Denys Roman

E.T. N° 404. Novembre-décembre 1967

    Dans le Symbolisme de juillet-septembre, M. Marius Lepage évoque les souvenirs et sentiments qu’a ravivés en lui la disparition de son ami et collaborateur François Ménard. Un article de ce dernier, intitulé Mises au point, expose, à l’usage, semble-t-il, de ceux qui se préparent à entrer dans la voie maçonnique, quelques-uns des caractères essentiels de la Doctrine « perpétuelle et unanime ». Continuer la lecture

Note introductive 2

avertissement

2008 : La Lettera G / La Lettre G, N° 9, Équinoxe d’automne *

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E.T. N° 395 mai-juin 1966

Les revues

Dans le symbolisme d’avril-mai, M. Marius Lepage, à l’occasion de l’adhésion de la Loge « Ambroise Paré » à la « Société des Amis de Rabelais et de la Devinière », publie une notice sur cette association littéraire qui a restauré le domaine familial où naquit l’auteur de Gargantua, et a obtenu son « classement » par l’administration des Beaux-Arts. Dans cette notice, M. Lepage rappelle la qualité d’initié attribuée par certains auteurs au Maître de la Devinière ; peut-être aurait-il pu ajouter que la raison principale -sinon la seule- d’une telle « reconnaissance » est l’emploi, par l’ « abstracteur de quintessence », d’un langage particulier, véritable « jargon » où l’on trouve des termes hermétiques, parfois déformés de la manière la plus inattendue et la plus « amusante ». La Devinière a été transformée en musée, et M. Lepage trouve « émouvant » d’y avoir exposées les œuvres de Rabelais traduites dans les langues les plus diverses, et notamment en russe, chinois et japonais. Nous avouons ne pas partager cet « émoi ». La traduction d’une œuvre initiatique par des profanes, déjà périlleuse dans le cas de langues apparentées, devient une véritable « parodie » quand il s’agit de langues très éloignées de l’originale. Et cela est particulièrement grave en ce qui concerne Rabelais. En effet, le premier résultat d’une telle transposition est de rendre inutilisable certaines « clés » qui permettaient de « restituer » aux termes déformés du jargon leur sens véritable et initiatique. Dès lors, comment les lecteurs de ces modernes adaptations pourraient-ils « rompre l’os et sucer la substantifique moelle », afin d’entrevoir tout au moins ces « très hauts sacrements et mystères orrifiques » (c’est-à-dire « aurifiques ») dont Rabelais, au début de son œuvre, nous promets la « révélation » ? Ils ne verront que les « voiles » disposés par l’auteur : la vulgarité forcée du style et le cynisme apparent des idées, qui sont bien au nombre de ces « choses fortuites » dont le « mépris », au dire de Maître Alcofribas lui-même, constitue le « vrai pantagruélisme ». Continuer la lecture

E. T. nº 296, décembre 1951, pp. 388-398

Le Symbolisme de janvier 1950

– Le nº de janvier 1950 du Symbolisme débute par un article de « La Lettre G » sur l’ouvrage posthume d’Albert Lantoine : Finis Latomorum. « La Lettre G » approuve les critiques qu’Albert Lantoine a portées contre ce qu’il considérait comme les tares de la Maçonnerie latine de son temps : c’est-à-dire le prosélytisme en matière de recrutement et les préoccupations politiques de trop d’ateliers ; « La Lettre G », par contre, regrette justement l’incompréhension de Lantoine pour tout ce qui touche au symbolisme et au ritualisme de l’Ordre. Continuer la lecture

E. T. nº 290, mars 1951, pp. 93-95

Le Symbolisme d’octobre 1949

Le Symbolisme d’octobre 1949 annonce la mort de Leo Fischer, vice-président de la Philalethes Society. — Dans un long article intitulé Maçonnerie et Action, M. J. Corneloup expose quelques considérations dont quelques-unes nous semblent intéressantes, mais dont beaucoup sont viciées parce que leur auteur se réfère uniquement aux rituels français actuellement en usage, et qui ont été (surtout aux 2e et 3e degrés) « modernisés » à l’extrême. Continuer la lecture