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L’ENIGME DE JEANNE DES ARMOISES

Publié dans E.T. N° 412-413 Mars à juin 1969

M. Gaston Georgel a dû lire notre article un peu précipitamment. Sans cela, il n’écrirait pas que les auteurs cités par nous « affirment sans rire que Jeanne d’Arc n’est pas morte à Rouen ». Par ailleurs, ce n’est pas eux qui ont présenté Jeanne comme l’« agent d’exécution de la chevalerie française ». C’est nous qui, rapprochant les renseignements de MM. Paul Lesourd et Claude Paillat des remarques de Guénon sur l’initiation probable de Jeanne d’Arc (et aussi d’une allusion faite par Eudes de Mirville sur certains « phénomènes » observés autour de l’ar­bre des fées de Domrémy) avons cru pouvoir envisa­ger que l’héroïne aurait été « suscitée » par une organisation chevaleresque en possession de certaines sciences traditionnelles.

Afin que nos lecteurs puissent juger sur pièces à quel point M. Gaston Georgel est justifié quand il parle, à propos des deux auteurs que nous avons cités, d’« d’assertions fantaisistes » et de « romans policiers », nous allons donner les principaux pas­sages qu’ils consacrent à la question de Jeanne des Armoises.

«   Malgré une abondante littérature, malgré des études innombrables émanant soit de catholiques, soit de libres penseurs, émanant d’historiens sérieux, de pieux hagiographes, d’écrivains fantaisistes ou de romanciers, personne n’a encore réussi à complètement projeter une lumière complète sur toute la vie de Jeanne d’Arc. Il reste et il restera toujours une part de mystère, d’ombre. C’est ce qui explique une partie des légendes qui circulèrent à son sujet… C’est ce qui explique les succès remportés par ceux et celles qui assurèrent que, n’ayant pas été brûlée, Jeanne se serait évadée ou aurait été relâchée après avoir pris l’engagement de se faire oublier pendant quelques années.

La plus célèbre de ces « Jeanne ressuscitées » est celle qui aurait épousé Robert des Armoises, et qui, formellement reconnue par ses frères [souligné dans le texte] et d’autres personnes, serait venue en 1439 à Orléans où des fêtes furent données en son honneur [souligné dans le texte]. Vers 1440, on aurait dévoilé là une imposture. Là encore, il y a des mystères et, sans croire à la réalité de ce qu’avançait Jeanne des Armoises, il faut bien reconnaître dans cette aventure des choses troublantes et qu’on ne peut rejeter d’un trait de plume en déclarant a priori que c’est absurde, faux, impie, etc., simplement parce que cela heurte des intérêts et des idées admises depuis des siècles. Sans affirmer, il est loyal et objectif de poser des points d’interrogation.

…Avant de se présenter comme étant Jeanne d’Arc, la dame des Armoises aurait fait, habillée en homme, un mystérieux voyage à Rome… Ne serait-ce pas l’indice d’une entrevue avec le Pape, expliquant le long silence de la Papauté à l’égard de la mémoire de Jeanne d’Arc ?

C’est en revenant de Rome qu’elle se présente comme étant Jeanne d’Arc, à Metz, où aucune objection n’aurait été élevée sur sa prétendue identité.

A Orléans, des messes étaient chaque année célébrées pour le repos de l’âme de Jeanne d’Arc…  Mais plus aucune trace d’offices à partir de 1439 [souligné dans le texte]. Or, les grandes fêtes données à Orléans en l’honneur de Jeanne des Armoises, soi-disant Jeanne d’Arc, furent célébrées le 13 juillet 1439. On avait appris au mois de mai 1436 que la Pucelle était à Metz et que ses frères  l’avaient reconnue.

Pendant qu’elle séjournait dans Orléans, la nouvelle parvint d’une arrivée prochaine de Charles VII pour les Etats Généraux et, à ce moment précis, elle semble s’éloigner avec précipitation. On voit là une preuve de son imposture, mais ne peut-on soutenir qu’en reparaissant en public elle manquait peut-être à l’engagement pris de se faire oublier ?

Que les bourgeois d’Orléans aient pu croire être  en présence de la véritable Jeanne d’Arc au point que personne dans la municipalité [souligné dans  le texte] ne se soit levé pour lui dire publiquement qu’elle n’avait rien de commun avec celle qui avait sauvé la ville dix ans auparavant, peut sembler étrange.

Les deux frères qui auraient reconnu Jeanne, c’étaient Jean et Pierre. Or Pierre avait suivi partout [souligné dans le texte] sa sœur, il avait combattu avec elle à Orléans. Il était avec elle à Compiègne où il veillait sur elle. II était tombé avec elle. Il est inconcevable qu’il se soit trompé. — Donc, ou bien le témoignage qui affirme que Pierre d’Arc a reconnu Jeanne est faux, ou il est vrai et, dans ce cas, ou bien il est complice de la supercherie, si supercherie il y a, ou tout est vrai et Jeanne des Armoises est Jeanne d’Arc.

Quant à l’autre frère, Jean (Petit Jean l’écuyer), on est certain qu’il crut que Jeanne des Armoises était sa sœur. Il l’affirma. Il s’afficha avec elle et c’est lui qui se chargea de la mission de la faire reconnaître par Orléans et par Charles VII. Lui aussi, où il fut dupe ou il fut complice. L’une et l’autre hypothèses sont difficiles à soutenir.

Il vaut mieux dire que les deux frères ou bien sont complices d’une escroquerie, ce qui semble difficile à admettre, ce qui suppose une parfaite entente entre deux frères très dissemblables comme nature, caractère et carrière, — ou bien Jeanne des Armoises était vraiment leur sœur.

C’est Jean d’Arc qui se rendit à Loches pour avertir Charles VII de la « résurrection » de sa sœur, et celle-ci paraît avoir correspondu avec la cour où Yolande [belle-mère du roi] se trouvait toujours. Elle était également à Orléans quand, le 30 septembre 1439, Charles VII y présida les Etats Généraux. N’est-ce pas Yolande qui avait demandé à Jeanne des Armoises de n’être plus à Orléans à cette date, ce qui expliquerait son départ précipité ?

Où va-t-elle alors ? Rejoindre Gilles de Rais, l’ancien compagnon de Jeanne d’Arc, celui qu’elle chérissait particulièrement, mais qui était devenu une sorte de Barbe-Bleue. N’importe, elle fait un séjour auprès de lui. Tout cela est bien curieux.

L’aventure de Jeanne des Armoises se serait terminée à Paris où, dit-on, en août 1440, l’Université, le Parlement, Charles VII l’auraient vue et confondue. On soupçonne par quelques mots ambigus qu’on a dû lui faire la leçon. Il a dû y avoir des explications un peu vives. Finalement, dans des  conditions peu précises, elle aurait avoué son imposture. Peut-être est-ce vrai. Mais peut-on croire sur parole des chroniques qui semblent suspectes ?  Si véritablement Jeanne des Armoises était Jeanne d’Arc, on peut très bien l’avoir convaincu que la  raison d’Etat exigeait [souligné dans le texte] qu’elle rentrât dans l’ombre pour toujours… pour n’être pas obligée de donner des explications, de révéler comment elle aurait échappé aux flammes.

Jeanne d’Arc reste une énigme par certains côtés, Jeanne des Armoises en est une autre. Résignons-nous à l’ignorance. Tant de documents ont été perdus, détruits ou faussés !  »

Nous pensons que voilà nos lecteurs suffisamment éclairés. Si MM. Paul Lesourd et Claude Paillat sont des « dupes », ce sont des dupes bien infor­mées, d’une extrême prudence et d’une honnêteté in­tellectuelle absolue. Leur « manière » ne rappelle que d’assez loin celle des auteurs de romans poli­ciers… alors que l’histoire officielle de Jeanne d’Arc nous rappelle un peu trop les histoires de la Biblio­thèque rose.

Guénon a parlé des « multiples énigmes » de l’exis­tence de Jeanne d’Arc. MM. Lesourd et Paillat écri­vent : « Jeanne d’Arc reste une énigme ». Il nous avait semblé n’être pas sans intérêt d’« illustrer » le propos du Maître disparu par les renseignements puisés dans un ouvrage intéressant qui, en dénonçant certaines « affabulations » historiques, apporte une précieuse contribution à toute sérieuse tentative de « philosophie de l’histoire ».

Jeanne des Armoises était-elle Jeanne d’Arc ? Les auteurs de Dossier secret n’affirment rien, et ils ajou­tent que personne ne peut rien affirmer. La question est d’ailleurs secondaire, la « mission » de Jeanne s’étant terminée peut-être à Reims, et assurément à Rouen. Mais cette question met bien en lumière les incertitudes de l’histoire profane. Franchement, nous envions M. Gaston Georgel d’y voir si clair, malgré les frères de Jeanne, malgré les échevins d’Orléans, malgré le Parlement de Paris qui, l’imposture dévoi­lée, laisse l’intrigante rentrer tranquillement chez elle sans la poursuivre pour usurpation d’identité et crime de lèse-majesté. Ce que M. Gaston Georgel trou­ve « le plus curieux » dans cette histoire, c’est que la dame des Armoises, qui « a fait des dupes » de son vivant, en fasse encore aujourd’hui, — les gens d’au­jourd’hui étant évidemment supposés beaucoup plus « éclairés » que ceux d’alors, surtout en matière historique. Nous pensons, nous, que les gens du XVe siècle étaient au contraire moins naïfs et moins faciles à duper que nos contemporains.

Un mot pour terminer. Si, aux yeux de M. Gaston Georgel, c’est être rationaliste de penser que l’action divine, pour s’exercer ici-bas, emprunte avec prédi­lection le canal des organisations initiatiques, — alors nous consentons bien volontiers à passer pour rationaliste aux yeux de M. Gaston Georgel.

Denys Roman

E. T. nº 296, décembre 1951, pp. 388-398

Le Symbolisme de janvier 1950

– Le nº de janvier 1950 du Symbolisme débute par un article de « La Lettre G » sur l’ouvrage posthume d’Albert Lantoine : Finis Latomorum. « La Lettre G » approuve les critiques qu’Albert Lantoine a portées contre ce qu’il considérait comme les tares de la Maçonnerie latine de son temps : c’est-à-dire le prosélytisme en matière de recrutement et les préoccupations politiques de trop d’ateliers ; « La Lettre G », par contre, regrette justement l’incompréhension de Lantoine pour tout ce qui touche au symbolisme et au ritualisme de l’Ordre. Continuer la lecture