E. T. nº 296, décembre 1951, pp. 388-398

Le Symbolisme de janvier 1950

– Le nº de janvier 1950 du Symbolisme débute par un article de « La Lettre G » sur l’ouvrage posthume d’Albert Lantoine : Finis Latomorum. « La Lettre G » approuve les critiques qu’Albert Lantoine a portées contre ce qu’il considérait comme les tares de la Maçonnerie latine de son temps : c’est-à-dire le prosélytisme en matière de recrutement et les préoccupations politiques de trop d’ateliers ; « La Lettre G », par contre, regrette justement l’incompréhension de Lantoine pour tout ce qui touche au symbolisme et au ritualisme de l’Ordre. Quant au remède que Lantoine proposait à la dégénérescence de la Maçonnerie, c’est-à-dire la suppression des Obédiences, « La Lettre G »  y donne son adhésion. Cette solution a été combattue dans le nº d’avril 1950 par un article de M. J. Corneloup intitulé Plaidoyer pour les Obédiences. Sans faire nôtres toutes les considérations de ce dernier auteur, nous pouvons du moins partager un grand nombre de ses vues sur l’utilité du « pouvoir central » en Maçonnerie, ne serait-ce que pour éviter que des Loges indépendantes ne donnent trop facilement prise à la malveillance profane. Comme l’écrit M. J. Corneloup : « La sagesse est de conserver à la Maçonnerie son caractère de société fermée, travaillant à l’écart de la foule, mais sans rien dissimuler de ses principes et de ses objectifs ». – Toujours dans le nº de janvier, nous trouvons un extrait du livre de M. Gaston Georgel : Les quatre âges de l’Humanité. Dans cet extrait, les trois grades de La Maçonnerie bleue sont mis en rapport avec les âges d’airain, d’argent et d’or, et l’âge de fer ou âge sombre est justement comparé à l’état du profane qui n’a pas encore « reçu la lumière ».

Le Symbolisme de février 1950

– Le nº de février 1950 contient une Note sur le Yi-King, par M. H. Delétie, qui donne le récit d’opérations faites par un « géomancien » indochinois en vue de la construction d’un tombeau. – Nous y trouvons aussi un article de M. Victor Mardrus intitulé : Une Société secrète sur le trône. Il s’agit d’une branche importante des Ismaïliens, celle des Qarmates, qui établirent au Xe siècle, en Égypte, le califat des Fatimites. L’article de M. Mardrus est intéressant au point de vue historique, cependant il nous est difficile de le suivre quand il écrit : « On rencontrait au sein du bâtinisme  septimain (c’est-à-dire de l’Ordre fatimite) des gens appartenant aux religions les plus diverses ; les musulmans, les juifs, et les chrétiens s’y coudoyaient ». Nous pensons qu’il s’agissait là de « septimains » d’origine juive ou chrétienne, mais qui, en tout cas, par leur adhésion à une branche de l’Islam, avaient perdu tout droit à se réclamer du Judaïsme ou du Christianisme. À la fin-de son article, M. Mardrus parle des « Frères de la Pureté » (Ikhwân es safâ) et de la « Maison de la Sagesse » du Caire. Sur ce dernier sujet, nous nous souvenons qu’il avait paru dans The Speculative Mason de janvier 1937 une note signée A. W. Y. (initiales du nom arabe de René Guénon) et qui renferme les renseignements suivants : « La maison de la Sagesse (Dâr-el-Hikmah) fut, au temps des Fatimites, un centre des lsmaïliens. Ces derniers avaient, et ont encore, des initiations et des grades, comme beaucoup d’autres sectes, par exemple les Druses de Syrie, qui emploient même quelques signes très semblables à ceux des Maçons. Quoiqu’il en soit, les Ismaïliens, les Druses, les Nosairis, etc., ne sont que des « sectes » (firâq) dans lesquelles il y a toujours quelque confusion entre exotérisme et ésotérisme ; et dans leurs initiations il y a un « côté sombre », dû à leur déviation de la pure tradition. Ces sectes n’ont aucun rapport avec les turuq ou fraternités ésotériques de l’Islam, qui sont au nombre de 72. (Ce peut-être là un nombre symbolique, mais, d’après une liste établie par Seyid Tawfiq el-Bakri, il semble que ce soit bien le nombre réel). Par ailleurs, on dit que quelques moines coptes conservent encore une sorte de connaissance ésotérique ; mais il est extrêmement difficile pour les musulmans d’obtenir des renseignements précis à ce sujet ». – Toujours dans le Symbolisme de février, nous trouvons une courte note signée Henri Lambert, sur les rapports entre la croix macrocosmique (croix à trois dimensions ou croix à six branches) et le sceau de Salomon. La projection, sur un plan horizontal, de la croix macrocosmique placée en équilibre instable (c’est-à-dire avec une branche verticale) donne la croix à deux dimensions. Mais, lorsque la croix macrocosmique est placée en équilibre stable (c’est-à-dire lorsqu’elle  repose sur trois branches, qui sont alors inclinées à 60 degrés sur le plan horizontal), sa projection sur ce plan donne la figure appelée « chrisme constantinien » d’où il est facile de passer à l’étoile à six branches ou sceau de Salomon. Il est à regretter que la note de M. Lambert soit si courte, et que l’auteur n’ait pas tiré du fait qu’il signale tout le parti qu’il aurait pu. On sait notamment que le chrisme, qu’on trouve si souvent figuré dans les catacombes, est aussi, comme René Guénon l’a fait remarquer, le schéma de l’aigle héraldique, insigne de l’Empire romain et symbole capital des hauts grades de la Maçonnerie.

Le Symbolisme de mars 1950

– Le nº de mars reproduit un article que le fondateur du Symbolisme, Oswald Wirth écrivit quelques mois avant sa mort, arrivée en 1943, c’est-à-dire à un moment où la Maçonnerie française, comme presque toutes les Maçonneries européennes continentales, étaient  « en sommeil ». Cet article est intitulé : Ce que je pense de Dieu en tant que Franc-Maçon. Nous y retrouvons les principales caractéristiques de l’œuvre écrite d’Oswald Wirth : son respect du sentiment religieux, son goût du symbolisme, sa méfiance à l’égard de la métaphysique. Il avait, sur tout ce qui touche au rituel, des vues beaucoup plus traditionnelles que son ami Lantoine, avec pourtant des lacunes qui nous ont toujours surpris et dont témoigne encore son dernier article. C’est ainsi qu’il trouvait étrange l’existence de prières dans les rituels de la Maçonnerie anglo-saxonne ; mais les équivalences de telles prières existaient aussi dans des c qui ne sont pas tellement anciens ; et d’ailleurs nous ne comprenons pas pourquoi des invocations à la Divinité seraient déplacées dans l’atelier maçonnique, qui est aussi un Temple ; car que faire en un Temple à moins que l’on ne prie ? À la fin de son article, O. Wirth rappelle la formule hermétique connue dont l’acrostiche donne le mot Vitriol ; mais cet auteur, qui a écrit un ouvrage sur le symbolisme hermétique, a dû rencontrer bien souvent des formules telles que : Ora et Labora, ou encore : Ora, lege, relege, Labora, et invenies, ou encore : Persevera orando et laborando, qui montrent bien que la prière a sa place, et une place de premier plan, dans l’« œuvre » hermétique, qui n’est pas différent de l’« œuvre » maçonnique. –Toujours dans le nº de mars, M. Marius Lepage rend compte d’un ouvrage récemment paru en Amérique : French Freemasonry under the third Republic, et qui traite de l’action politique des deux principales Obédiences françaises de 1870 à 1940. M. Lepage rappelle que « la Maçonnerie n’a rien à gagner, et tout à perdre, en se mêlant de près ou de loin aux luttes politiques ». Mais, cela dit, il ne peut s’empêcher de rendre hommage aux Maçons politiciens dont le livre qu’il analyse retrace l’action, car il estime que cette action politique a été utile au pays. Nous devons dire que nous ne comprenons pas une pareille indulgence. L’action en question « servait » une certaine politique, qui était celle d’un parti et avait donc un caractère partisan, évidemment en contradiction avec cet universalisme qui est l’essence même de l’Ordre. Nous savons bien, du reste, qu’au sein de la Maçonnerie française de cette époque, il y eut des ateliers qui surent rester fidèles à l’esprit maçonnique et ne rien « servir », si ce n’est la Vérité.

Le Symbolisme d’avril 1950

– Dans le nº d’avril, article de M. Probst-Biraben intitulé Transmission et Baraka. L’auteur y donne quelques renseignements sur la transmission initiatique dans l’islam, et décrit aussi les pratiques traditionnelles des assemblées de derviches, en insistant trop, à notre avis, sur celles d’Ordres quelque peu « excentriques » (tels que les Aïssawa, les Hamenchas et les Refayia).

Le Symbolisme de mai 1950

– Le rappel des condamnations pontificales romaines contre la Maçonnerie a provoqué, dans le Symbolisme de mai, un article de M. Lepage, article intitulé : Rome a parlé. Nous n’avons pas, dans cette revue, à prendre part aux discussions soulevées à ce sujet : mais certaines phrases de M. Lepage nous ont étonné. Il écrit par exemple : « Un groupement, l’Église, connait la vérité par une révélation divine dont il est interdit de douter ». Mais une telle attitude n’est pas le fait de la seule Église romaine, et M. Lepage sait bien qu’il en est exactement de même de toutes les autres Églises chrétiennes (sauf peut-être de certaines branches du protestantisme libéral). Et d’ailleurs, le  Judaïsme et l’Islamisme, sous leur forme exotérique, ne sont-ils pas dans le même cas ? M. Lepage écrit aussi : « L’Église sent le sol qui se dérobe sous ses pas ». Non, ce qui devrait sentir le sol se dérober sous ses pas, c’est le monde moderne, dans la mesure où il est infidèle à sa tradition. Mais l‘Église, « sur le roc éternel assise », ne peut que s’en rapporter avec confiance aux promesses de son fondateur, promesses contenues dans un Livre qui est d’ailleurs – et cela depuis 20 siècles – la « Grande Lumière de la Maçonnerie ». – Une critique de l’article de M. Lepage a paru dans le Symbolisme de février-mars 1951, sous la signature de M. Jean Tourniac. Cet auteur, envisageant d’une façon très générale le problème des rapports entre exotérisme et ésotérisme en Occident, rappelle « qu’une forme, quelle qu’elle soit, ne peut qu’être exclusive sous peine de n’être plus du tout, car la forme est inséparable de la Limite ». Nous ne pouvons que conseiller à nos lecteurs de lire cet article, ou ils trouveront incidemment d’intéressantes considérations sur les « fonctions » respectives de Pierre et de Jean, et sur la nécessité, pour la Maçonnerie, de se détourner des « ratiocinations dites philosophiques » pour se livrer à un travail opératif ; ce qui ne veut évidemment pas dire que les Maçons devraient reprendre le métier de constructeur ; car il est à remarquer qu’au XVIIIe siècle un régime maçonnique au moins, celui des Élus Coëns, pratiquait des « opérations », c’est-à-dire avait un caractère opératif. – Toujours dans le Symbolisme de mai, « La Lettre G », sous le titre Tolérance et Controverse, expose un certain nombre de considérations très justes sur les règles qui doivent présider à toute « discussion » entre initiés et profanes.

Le Symbolisme de juin 1950

– Dans le nº de juin, M. Lepage donne d’intéressants renseignements sur les Jakin (chapelains des anciennes Loges opératives), dont René Guénon a parlé dans les Aperçus sur l’Initiation (p. 198, n. 2). Ces renseignements, communiqués par la rédaction du Speculative Mason, proviennent en partie des rituels utilisés avant la guerre de 1914 par les deux Loges opératives qui existaient encore à Leicester.

Le Symbolisme de juillet-août 1950

– Le nº de juillet-août contient la communication d’un archiviste sur la date où la formule : Liberté, Égalité, Fraternité, fut adoptée comme devise de la République française. Il résulte de cette communication que ces trois mots furent proposés comme « principes des lois de la République » dans un amendement présenté à l’Assemblée Constituante le 7 septembre 1848, et que cinq jours plus tard, le 12 septembre, un arrêté du général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif, ordonnait que la devise en question figurerait sur le sceau de l’État. Mais il nous faut ajouter qu’il semble pourtant que l’adoption de ladite formule soit un peu plus ancienne, et remonte aux tout premiers jours de la seconde République. En effet, les 6 et 10 mars 1848, des délégations maçonniques reçues par les membres du Gouvernement provisoire se félicitaient « de retrouver la devise de leur Ordre sur les étendards de la France ». (Cf. Albert Lantoine, La Franc-maçonnerie dans l’État, p. 311). Quoi qu’il en soit, ce qu’il est essentiel de souligner, c’est que la devise : Liberté, Égalité, Fraternité, a été utilisée par la Maçonnerie française 100 ans au moins avant que cette devise ne figurât sur les monuments publics ; la première mention de cette formule se trouve dans un ouvrage de l’abbé Larudan intitulé : Les Francs-maçons écrasés, qui fut publié en 1746. C’est un ouvrage antimaçonnique, et en conséquence on ne peut accepter les renseignements qu’il fournit qu’avec bien des réserves. Nous pensons cependant que l’emploi maçonnique de la dite formule n’est pas une invention de Larudan, car il nous semble qu’elle est susceptible d’une interprétation parfaitement orthodoxe. On connaît la signification initiatique de la Liberté et de la Fraternité. Quant à l’Égalité, sans doute faut-il envisager ici surtout en tant qu’elle exprime une idée d’équilibre (qu’on pense à « l’équilibre de la Balance » et à « l’Invariable Milieu »). La Liberté totale, l’Égalité parfaite et la Fraternité universelle ne constituent pas un idéal politique ; mais elles sont une réalité initiatique, qui sera réalisée par le Maitre Maçon lorsqu’il accédera, effectivement et non plus virtuellement, aux mystères de la « chambre du Milieu ».

Le Symbolisme de septembre-octobre-novembre 1950

– Le nº de septembre-octobre-novembre débute par un article de M. J. Corneloup, intitulé Le tournis. Le nom de cette maladie des moutons sert à l’auteur pour désigner un jeu parfois pratiqué par les jeunes enfants, qui « font la toupie » en tournant sur eux-mêmes jusqu’à être pris de vertige. De tels exercices, qui cessent ordinairement assez vite, de même que cessent certaines facultés « paranormales » de l’enfance, sont vraisemblablement assez inoffensifs, et nous trouvons quelque peu péjoratif le rapprochement fait par M. Corneloup avec ce qu’écrivait Arthur Rimbaud à Georges Démeny : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement des sens ». M. Corneloup, d’autre part, assimile aux enfants qui « tournent » non seulement les médiums, mais encore les derviches, les yogis et les mystiques. Pour ces derniers, nous pourrions lui demander s’il pense que les « états mystiques » d’une sainte Thérèse d’Avila, ou d’une sainte Catherine de Sienne, qui sont bien des mystiques au sens propre de ce terme, étaient le résultat de ces « pratiques » telles que le tournoiement. Pour ce qui est des derviches et des yogis, nous reconnaissons que la question est différente, et que pourrions-nous répondre à M. Corneloup. Mais le Symbolisme lui-même va s’en charger, car dans le même nº nous trouvons une étude de M. Émile Dermenghem intitulée : La poésie initiatique musulmane et la Parole perdue. L’auteur y rappelle que non seulement la poésie, mais encore la musique et la danse sont « l’écho de la Parole primordiale », et comme telles, elles peuvent « rappeler l’union primitive des cœurs avec Dieu, les faire revenir à l’état primordial, ramener sur la route, et libérer comme un oiseau l’âme qui a secoué la poussière de l’existence séparée ». M. Dermenghem ne dissimule d’ailleurs nullement les dangers (qui peuvent aller jusqu’à la mort subite) de telles pratiques, dangers dont le principal est « de prendre le moyen pour la fin, de s’engourdir dans une sorte d’euphorie esthétique ». Mais l’existence de ces dangers n’autorise nullement à comparer à un « jeu d’enfant » les pratiques des Ghazâli, des Jalal-ed-Dîn Roumi, des lbn-el-Fâridh et des Attâr, pour citer quelques-uns des maîtres évoqués par M. Dermenghem, dont l’article constitue la meilleure réponse qui puisse être faite à celui de M. Corneloup. – Toujours dans le même nº, article de P. O’Neill sur Le Rite Suédois. Nous y trouvons un excellent historique des origines de ce rite, question généralement très mal connue en France. Ses fondateurs avaient reçu la lumière dans notre pays, ce qui explique la parenté des rituels suédois avec ceux du « régime rectifié ». Ainsi, « c’est de France que partirent les paroles qui atteignirent la Baltique, et constituent encore de nos jours le langage maçonnique de ces pays ». P. O’Neill, naturellement, rappelle l’importance du symbolisme apocalyptique dans les dits rituels, et donne quelques renseignements intéressants sur l’« Ordre civil de Charles XIII », dont les insignes se portent en public. Ces insignes comportent notamment le chiffre 13 (à cause du fondateur ; Charles XIII) et la lettre B (à cause de son successeur, le célèbre Bernadotte). Si l’on considère la mauvaise réputation du chiffre 13 dans le monde profane, et, sous un certain aspect, de la lettre B en Maçonnerie, on pourrait être tenté de voir là quelque chose d’inquiétant. Nous pensons, quant à nous, qu’il faut y voir plutôt une allusion voilée à une certaine « réintégration », dont il est aussi question ailleurs dans la Maçonnerie. L’Ordre de Charles XIII comporte toujours 27 laïques et 3 ecclésiastiques (luthériens). L’un de ces derniers fut notamment l’archevêque d’Upsal Nathan Sœderblom, dont P. O’Neill rappelle le rôle important dans le « mouvement œcuménique » ; et il fait ce rapprochement très juste que l’« union des Églises » était aussi la préoccupation majeure de Joseph de Maistre, qui appartenait au rite rectifié. Il faut même préciser que le « comité de préparation » du premier Congrès Œcuménique, celui de Stockholm, tint sa séance d’ouverture au siège de la Grande Loge de Suède. Est-il besoin d’ajouter que nous ne voulons voir dans ce fait que sa valeur symbolique, et que nous n’entendons nullement suggérer que le « mouvement Œcuménique » soit d’inspiration maçonnique ? L’archevêque Sœderblom avait d’ailleurs un esprit d’une catholicité remarquable ; au cours de ses visites pastorales, il recommandait aux enfants la prière de sainte Brigitte : « Seigneur, montre-moi la voie, et accorde-moi la volonté de la suivre ». On sait d’autre part qu’Upsal (dont le nom est très « évocateur ») est à la fois le « tombeau » des anciens dieux scandinaves Thor, Odin et Freya, qui reposent sous des tumuli célèbres, et celui du patron de la Suède, le roi martyr saint Eric. La cathédrale d’Upsal, comme d’ailleurs beaucoup d’églises de Suède, est entièrement couverte en cuivre, métal dont on connait le symbolisme « polaire » (cf. Le Roi du Monde, chap. I). – Signalons enfin, toujours dans le même nº, un article signé G. de Saint-Jean, et intitulé Les Deux Églises. Cet article contient, nous devons le dire, des assertions qui nous semblent quelque peu « aventurées ». Mais nous ne pouvons que nous associer pleinement à l’auteur lorsqu’il conclut : « Nous sommes à la fin d’un cycle, c’est-à-dire à une époque où il est absolument vain, en raison même des conditions du moment, de prétendre créer une religion nouvelle. Celle-ci, en vérité, qui ne sera point œuvre humaine, ne verra le jour qu’au début du cycle futur, quand il n’y aura plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur ».

Le Symbolisme de décembre 1950

– Dans le nº de décembre, Maiën-Nevez reproduit et commente quelques symboles ternaires et particulièrement le « triscèle » ou « triquêtre ». C’est une sorte de swastika à trois branches, constituées par des jambes humaines ployées à angle droit. Cet emblème, comme le rappelle l’auteur, constitue l’insigne héraldique de l’île de Man. Mais il omet de mentionner qu’il figurait aussi sur le bouclier d’une des plus anciennes familles d’Athènes, celle des Alcméonides et dans les armoiries de la Sicile, d’ailleurs appelée dans l’antiquité Triquetra ou Trirnacria, à cause de ses trois « pointes ». La Sicile a d’étranges rapports avec l’histoire du Saint-Empire, ayant été le lieu de « repos » d’Énée, ancêtre de César, avant qu’il abordât dans le Latium. Et ce fut aussi l’ultime lambeau de l’empire des Hohenstaufen, dont le dernier représentant, Conradin, est le héros de prédilection des « Fidèles d’Amour »et de Boccace en particulier. Pour nous, les liens de la Sicile avec l’histoire « cachée » du Saint-Empire sont dus à la position de cette ile au centre de la « mer au milieu des terres ». Et l’on remarquera que telle est aussi à peu près la position de l’île de Man dans cette autre « mer Intérieure » qu’est la mer d’Irlande, véritable réduction de la Méditerranée entre les deux îles Britanniques. Il est évidemment inutile de souligner la ressemblance entre les mots Man et Manou. Maen-Nevez donne également la reproduction du « bijou celtique de Bergen », qui nous a rappelé un ornement très répandu chez les Aïnos, peuplade blanche « égarée » dans les îles de Yéso et de Sakhaline, et qui professe pour l’ours une étrange vénération. Cet ornement figure aussi dans l’art japonais, notamment dans le blason de certaines familles et de certaines divinités, et en particulier du dieu du tonnerre. C’est en somme un ying-yang à trois « virgules ». Les Japonais, qui le désignent sous le nom de mitsutotok, le font figurer notamment sur presque tous les tambours et les gongs : c’est le symbole de la foudre (Cf. George Montandon, La Civilisation aïnou, pp. l59-162). Cet auteur pense que les Aïnos, n’ont pas emprunté ce motif décoratif aux Japonais, mais qu’il « est un bien ancien, commun à l’une et à l’autre civilisations ». Et l’existence d’un décor semblable en Scandinavie (le « bijou celtique de Bergen » reproduit par Maën-Nevez) nous semble renforcer singulièrement cette hypothèse. Nos lecteurs se rappelleront que le « rayon céleste » (Buddhi) est conçu comme ternaire (L’homme et son Devenir selon le Vêdânta, p. 66). C’est ce rayon qui, il n’y a pas si longtemps encore, était évoqué au début des réceptions maçonniques, où l’on demandait au Grand Architecte : « Fais descendre un de tes rayons sur cet aspirant qui désire participer à nos sublimes mystères ». L’appel à la Sagesse, à la Force et à la Beauté suivait aussitôt ; et l’on peut faire encore d’autres rapprochements : l’« alarme » causée par les coups « irréguliers » frappés par le profane à la porte du Temple est signalée, dans certains rites, par un coup de gong ; et dans les Loges françaises, le premier « voyage » du récipiendaire était jadis accompagné par un « rhombe » qui simulait les bruits de l’orage. Pour en revenir à l’article de Maën-Nevez, peut-être le mitsutok est-il, comme le « bijou de Bergen » et comme le « triscèle », une variante d’un même symbole appartenant à la tradition hyperboréenne primordiale, tradition à laquelle se rattachaient sans doute aussi ben les Aïnos que les Celtes et les populations primitives de la Sicile et de l’Attique. –Toujours dans le nº de décembre, le Swâmi Adidevânanda publie un long article, traduit par M. Lepage, et intitulé L’hindouisme dans son essence et dans sa manifestation. Ce qu’il y a de plus intéressant dans cet article, ce sont les renseignements donnés sur les rites qui encadrent toute la vie de l’Hindou, depuis la conception jusqu’à la mort. L’auteur décrit aussi les quatre ashramas, c’est-à-dire les quatre étapes successives proposées à celui qui aspire à la libération : ce sont celles de brahmachârin (étudiant des Védas), de grihastha (maître de maison), de vânaprastha (ermite dans la forêt) et de sannyâsin (ascète). Le Swâmi Adidevânanda cite à ce sujet l’orientaliste Deussen : « L’histoire toute entière de l’humanité ne produit rien qui approche la grandeur de cette pensée ». C’est là, nous semble-il, une simple question d’appréciation individuelle ; et pourquoi, par exemple, n’estimerions-nous pas que la conception chrétienne et bouddhique du monachisme « approche » et dépasse même la « grandeur » de la ·conception des Ashramas ? Le Swâmi Adidevânanda ne paraît pas exempt d’un certain esprit d’exclusivisme, par exemple lorsqu’il écrit : « Depuis des temps immémoriaux, les habitants de l’Inde ont méprisé les plaisirs fugaces de la vie et se sont attachés à la solution des plus profondes questions : le sens de l’existence et du monde, la relation de l’homme à la Réalité ». Nous pensons que le mépris des « plaisirs fugaces de la vie » a toujours été, même dans l’Inde, le lot d’une toute petite minorité… Et nous ne savions pas que la connaissance du « sens de l’existence et du monde » était le fruit des « efforts ardents et de la vue pénétrante de ces profonds penseurs » (sic). Nous avions même entendu dire qu’à l’origine « les sages (rishis) entendirent le Véda », c’est-à-dire que la connaissance descendit du ciel par l’effet de la « grâce » divine et non par suite de l’effort humain. Mais le Swâmi Adidevânanda professe visiblement la plus grande estime pour cet effort et il va même jusqu’à écrire : « Aucun effort n’est absolument perdu. Tout essais d’escalader le ciel aboutit à une acquisition spirituelle ». Hélas ! Il y a dans les traditions occidentales certaines histoires qui nous empêchent de partager l’optimisme prometteur du Swâmi. Non, elles ne sont pas forcément couronnées de succès, les tentatives que font les hommes pour bâtir ici-bas « une tour dont le sommet touche le ciel ». Et si tout effort devait se traduire par un progrès spirituel, on ne concevrait pas pourquoi Dante, dans sa paraphrase du Pater (Purgatoire, chant XI), demande à l’Éternel : « Donne-nous la manne quotidienne, sans laquelle on recule dans cet âpre désert, en raison des efforts qu’on fait pour avancer ». – Il nous faut signaler enfin, toujours dans le même nº, un article de M. G.-H. Luquet, intitulé : Quelques précisions d’histoire maçonnique. L’auteur y donne, avec la documentation abondante et rigoureuse qui caractérise tous ses exposés, des compléments sur des points qu’il avait déjà étudiés dans un article que nous avons mentionné en son temps. Ces points ont trait notamment à la date d’initiation d’Anderson, à l’édition des « Constitutions », à la fondation de la Grande Loge de Londres, à la périodicité de l’office de Grand-Maître, et à l’incendie de la Loge de Saint-Paul en 1720.

Le Symbolisme de février-mars 1951

– Le nº de février-mars 1951 contient un article de Mme Marguerite Loefler-Delachaux sur certains symboles géométriques et particulièrement sur le carré, le cercle, le cube et la sphère. Cet article, très influencé par les théories de Lévy-Bruhl et du Dr Malinowski, contient des considérations dignes de remarque sur le travail chez les peuples dits primitifs. « Pour le primitif, le travail manuel n’existe pas en soi. Tandis qu’il œuvre de ses mains, le travailleur livre une bataille sur le plan spirituel afin que son ouvrage gagne à la fois une valeur pratique maxima et une efficacité surnaturelle. Chez les indigènes des îles Trobriand, l’ouvrier, en travaillant, récite ou chante, sur un ton bas et monotone, certaines formules dont l’effet se surajoute au produit de son effort manuel ». En somme, le côté manuel de l’œuvre est le corps du travail, le chant qui l’accompagne (incantation) est son âme ; d’où il résulte d’ailleurs que les conditions du travail moderne font de ce dernier un corps privé d’âme. D’autre part, Mme Loefler-Delachaux mentionne la correspondance de la sphère et du cube avec le ciel et la terre et rappelle que lors de la procession des Grandes Eleusinies, la statue de l’enfant-dieu Iacchos était suivie de deux personnages qui portaient un dé et une balle (le cube et la sphère transformés en jouets), « symboles de sa double appartenance au divin et au terrestre ». Cela est très vrai mais l’auteur aurait pu être encore plus précis et souligner que Iacchos-Dionysos, dieu des initiés, porte la sphère et le cube en tant qu’il est « fils du Ciel et de la Terre » (Cf. La Grande Triade, pp. 68-72). Il est fils de Zeus, dieu du Ciel, et fils nourricier de Déméter, déesse de la Terre. Signalons à ce propos les rapprochements suivants, intéressants au point de vue maçonnique : Dionysos, dieu du vi n et de l’initiation, est « fils du tonnerre », étant né « pour la première fois » sous l’action de la foudre qui incendia le palais royal de Thèbes lorsque Zeus apparut « dans sa gloire » à Sémélé. Saint Jean et saint Jacques, « patrons » des initiés dans le christianisme, furent appelés par le Christ « Boanergès », c’est-à-dire « fils du tonnerre » (Marc, III, 17). Il résulte, du reste, du texte sacré qu’ils avaient le pouvoir de faire tomber la foudre (Luc, IX, 54. Cf. La Grande Triade, p. 53, n. 5). D’autre part, le nom du père de Dionysos, Zeus, commence par la lettre Z, comme les noms du père de saint Jean et de saint Jacques, Zébédée et du père de saint Jean-Baptiste, Zacharie ; et l’on sait que la lettre Z est l’hiéroglyphe de l’éclair. Enfin, les initiales de Jean-Baptiste et de Jean Boanergès (les deux patrons de la Maçonnerie, qu’elle honore lors de ses fêtes solsticiales) sont les lettres J et B, qui figurent sur les colonnes du Temple, colonnes qui, parmi des significations multiples, ont notamment celles de « portes solsticiales ». – Toujours dans le Symbolisme de févier, article de Jisséka sur la science des nombres ; où cet auteur fait un intéressant rapprochement entre l’équation 1 + 2 + 3 + 4 = 10 et l’équation 3 x 4 x 5 x 6 = 360. – Il faut signaler enfin un long article intitulé Magie et Divination celtiques, par M. J. Piette, auteur qui visiblement a fait une étude très approfondie de l’œuvre de René Guénon. Il a utilisé, pour ce travail sur un sujet aussi difficile, toutes les « sources » qui étaient à sa disposition : les écrivains de l’antiquité classique (entre autres Strabon, Diodore de Sicile, Jules César et Pline l’Ancien), les littératures « néo-celtiques » du Moyen-âge et aussi, mais avec prudence, les « traditions populaires » des pays celtiques. Ne pouvant résumer un article aussi important, nous nous bornerons à signaler quelques points curieux. Les anciens Celtes, selon Cicéron, étalent considérés par les Romains comme des maîtres en science augurale, presque à l’égal des Étrusques. Ils interprétaient notamment le vol des « Oiseaux prophétiques », dont les plus importants étaient le corbeau et le roitelet. Un autre procédé dont la littérature irlandaise fait mention est la divination par les caractères « ogamiques », cet étrange alphabet dont l’invention est attribuée au dieu Ogme ou Ogmios (représenté avec des chaînes d’or partant de sa bouche). La magie celtique, comme beaucoup d’autres, utilisait la baguette pour l’ « appel » des « influences errantes » et l’épée pour leur « renvoi ». Mentionnons à ce propos que baguettes et épées sont des instruments indispensables au fonctionnement d’une Loge maçonnique ; mais ici, évidemment, elles ne jouent pas un rôle magique  ; elles servent pourtant à « diriger » certaines forces d’un ordre beaucoup plus élevé ; malheureusement, dans les rites utilisés dans les pays latins, la suppression de l’office des Diacres a entrainé celle de l’usage des baguettes, si bien qu’un symbolisme essentiel a été mutilé. Certaines pratiques de la magie celtique étaient vraiment étranges : des magiciens, pour obtenir des résultats d’un ordre évidemment assez bas, s’assimilaient temporairement aux Fomôire (adversaires des dieux), qui sont représentés comme n’ayant qu’un pied, une main et un œil. Les magiciens en question faisaient donc leurs opérations à cloche-pied, avec un œil fermé et une main derrière le dos. La littérature celtique a même gardé le souvenir de guerriers à qui l’on avait coupé le pied droit et la main droite, et crevé l’œil droit. Ils réalisaient ainsi, écrit M. Piette, l’identification avec les Fomôire, non plus temporairement, mais définitivement, comme ces magistes imprudents qui se laissent irrémédiablement entrainer vers les bas-fonds du domaine subtil jusqu’à la dissolution totale de leur être psychique. Et nous ajouterons que quiconque se livre à la magie, surtout de nos jours s’expose presque inévitablement à un semblable résultat. M. Piette rappelle aussi que la magie avait pris, dans les derniers temps de l’Irlande « païenne », une importance démesurée, comme ce fut aussi le cas pour la civilisation égyptienne de basse époque. Il signale également que « les Celtes tenaient le chien, compagnon du guerrier, en haute estime ; et l’épithète de « chien », loin d’être une insulte, était pour eux éminemment laudative ». Les civilisations traditionnelles qui ont été dans ce cas sont, croyons-nous, assez rares ; mais il ne faut pas oublier que pour Dante, le chien (lévrier ou Veltro) est un symbole éminemment bénéfique, et que les membres de la famille della Scala, protecteurs de l’Alighieri, prenaient volontiers des noms de chien (Can Grande della Scala, Mastino della Scala, etc.). Et Dürer, dans une de ses œuvres les plus célèbres et les plus énigmatiques, a représenté son Chevalier, se détournant de la Mort et du Diable, et se dirigeant, accompagné d’un chien, vers « la cité sur la colline ».

Denys Roman.