E.T. N° 395 mai-juin 1966

Les revues

Dans le symbolisme d’avril-mai, M. Marius Lepage, à l’occasion de l’adhésion de la Loge « Ambroise Paré » à la « Société des Amis de Rabelais et de la Devinière », publie une notice sur cette association littéraire qui a restauré le domaine familial où naquit l’auteur de Gargantua, et a obtenu son « classement » par l’administration des Beaux-Arts. Dans cette notice, M. Lepage rappelle la qualité d’initié attribuée par certains auteurs au Maître de la Devinière ; peut-être aurait-il pu ajouter que la raison principale -sinon la seule- d’une telle « reconnaissance » est l’emploi, par l’ « abstracteur de quintessence », d’un langage particulier, véritable « jargon » où l’on trouve des termes hermétiques, parfois déformés de la manière la plus inattendue et la plus « amusante ». La Devinière a été transformée en musée, et M. Lepage trouve « émouvant » d’y avoir exposées les œuvres de Rabelais traduites dans les langues les plus diverses, et notamment en russe, chinois et japonais. Nous avouons ne pas partager cet « émoi ». La traduction d’une œuvre initiatique par des profanes, déjà périlleuse dans le cas de langues apparentées, devient une véritable « parodie » quand il s’agit de langues très éloignées de l’originale. Et cela est particulièrement grave en ce qui concerne Rabelais. En effet, le premier résultat d’une telle transposition est de rendre inutilisable certaines « clés » qui permettaient de « restituer » aux termes déformés du jargon leur sens véritable et initiatique. Dès lors, comment les lecteurs de ces modernes adaptations pourraient-ils « rompre l’os et sucer la substantifique moelle », afin d’entrevoir tout au moins ces « très hauts sacrements et mystères orrifiques » (c’est-à-dire « aurifiques ») dont Rabelais, au début de son œuvre, nous promets la « révélation » ? Ils ne verront que les « voiles » disposés par l’auteur : la vulgarité forcée du style et le cynisme apparent des idées, qui sont bien au nombre de ces « choses fortuites » dont le « mépris », au dire de Maître Alcofribas lui-même, constitue le « vrai pantagruélisme ».

Dans le même numéro, nous lisons la fin du long article de M. Jean Mourgues, intitulé Evangiles, et que nous avons signalé dans notre chronique de mars. Ici l’auteur parle surtout du Christianisme, et aborde des questions très diverses, telle que la vie cachée de Jésus, le sacrifice, la « limite », etc. Certaines de ses considérations ne manquent pas d’intérêt, mais auraient gagné, semble-t-il, à être formulées dans un vocabulaire plus « technique ». Très conscient de la multiplicité des expressions religieuses de l’Unique Vérité, M. Jean Mourgues n’est pas loin de « reprocher » aux « hommes d’Eglise » leur exclusivisme. Mais il nous semble que l’exclusivisme est un corolaire naturel du point de vue exotérique. Tout ce qu’on peut souhaiter à une Eglise, c’est de compter, parmi ses membres et surtout parmi ses dignitaires, un certain nombre de personnes qui dépassent un tel point de vue, et parviennent ainsi, sous l’influence de l’Esprit, au sens intérieur de leurs Livres Saints, de leurs rites et de leurs symboles. A la fin de son étude, M. Jean Mourgues nous dit : « l’Eglise catholique n’a pas fini de payer la conversion de Constantin ». S’il en était ainsi, cela serait vraiment décourageant. La conversion de Constantin remonte à 314, et nous sommes en 1966… Mais, au fait, pourquoi vouloir faire « payer » la seule Eglise catholique un événement dont les Eglises d’Orient ont été, aussi bien qu’elle, les bénéficiaires ?

Sous le titre : La Charte de Cologne, un document maçonnique sensationnel, la même revue donne la traduction d’un article néerlandais fort intéressant et documenté, comme le sont généralement les études maçonniques publiées en cette langue. La charte en question, écrite en latin et en caractères « cryptiques » est la « planche tracée » (c’est-à-dire le procès-verbal) d’une assemblée qui aurait réuni à Cologne, à la Saint-Jean d’été de 1535, dix-neuf délégués venus de toute l’Europe « occidentale » (nous avons noté cependant l’absence de délégués portugais et scandinaves). Après être demeurée pendant trois siècles enfouie dans on ne sait quelles « archives », la Charte, en 1816, entra « d’une manière mystérieuse » en la possession du prince d’Orange-Nassan, lequel, bien qu’âgé de seulement 21 ans, venait d’être élu Grand-Maître National du Grand-Orient des Pays-Bas. Le prince communiqua ce document à toutes les Loges de son obédience, et il s’en suivit des discussions passionnées, tant au Pays-Bas que dans le reste de l’Europe, sur l’authenticité de la Charte. L’auteur de l’article ne cache pas qu’en Hollande même, la thèse de l’authenticité est loin de faire l’unanimité. Il pense même que l’entourage maçonnique du jeune prince Frédéric -et surtout son Député Grand-Maître, Anton Reinhard Falek- voyait dans la Charte « une base historique pour abolir certains hauts-grades » ; et il trouve étrange « que le document soit venu à la lumière juste au moment où la lutte contre les hauts-grades s’engageait ». Nous mentionnerons aussi l’opinion des principaux historiens de la Maçonnerie : l’Allemand Findel était opposé à l’authenticité ; l’Anglais Gould et l’Américain Mackey rangeaient la Charte parmi les documents « douteux ». Mais peut-être l’auteur de l’article, dans la prochaine étude qu’il annonce, nous apportera-t-il quelque nouvelle lumière sur cette question fort embrouillée.

(A suivre)

Denys Roman