E.T. n° 297, janv.-fév. 1952, pp. 39-48

The Speculative Mason nº 3-4 de 1950

The Speculative Mason (nº 3-4 de 1950) a publié la traduction de l’article que M. François Bruel a fait paraître dans Carrefour à l’occasion de la mort de René Guénon. Cette traduction est précédée de la formule usitée dans les Loges britanniques pour remercier le Maître de la « promulgation des signes substitués » , et suivie des cinq derniers shlokas de llsha Upanishad. Nous remercions bien vivement notre confrère anglais de ces marques d’estime pour celui qui fut, pendant si longtemps, le principal collaborateur de notre revue. — Ce n° débute par un long résumé des Aperçus sur l’Initiation et des articles que Jean Reyor a publiés ici même comme commentaire à cet ouvrage. Quelques questions sont posées à cette occasion à notre collaborateur, qui se propose d’y répondre prochainement. — Viennent ensuite des extraits de lettres adressées à John Yarker par Clement Stretton, membre de la Loge opérative de Mount Bardon, extraits qui roulent sur des évènements trop importants au point de vue maçonnique pour que nous ne tentions pas d’en donner un résumé. D’après ces textes, Anderson aurait été nommé Chapelain de la Loge opérative de Saint-Paul, à Londres, en 1710, à la suite de la résignation du Rév. Henry Compton, qui avait occupé cette charge depuis 1675. En septembre 1714, il aurait commencé à tenir chaque mercredi soir, dans l’hôtellerie « A l’Oie et au Gril » (Goose and Gridiron) des réunions pour « gentlemen », réunions auxquelles les Maçons opératifs ne pouvaient assister, parce qu’Anderson ne voulut pas leur en donner le mot de passe. Le rituel spéculatif aurait ainsi été élaboré, de 1714 à 1717, au cours de ces réunions. Les  « gentlemen » qui y assistaient seraient ces Maçons qui « se trouvèrent négligés par le Grand-Maître sir Christopher Wren » et qui, en conséquence, s’unissant à un certain nombre d’opératifs, fondèrent la Grande-Loge de Londres, à la Saint-Jean d’été de 1717, au cours d’une réunion tenue précisément « A l’Oie et au Gril ». Les opératifs eurent tellement de rancœur des procédés d’Anderson qu’ils décidèrent de ne jamais plus admettre parmi eux de candidats portant un tel nom, et, ce qui est encore plus extraordinaire, ils supprimèrent l’office de Chapelain (Jakin), dont le rôle fut, depuis cette époque, tenu par le Maître de Loge. The Speculative Mason nous dit d’ailleurs que cette dernière décision ne fut pas strictement appliquée. S’il nous était permis d’exprimer une opinion personnelle, nous dirions qu’à notre avis les événements ont dû se passer à peu près tels que Clement Stretton les rapporte ; mais cela pose des problèmes qu’il n’est pas facile de résoudre. Quels étaient les « gentlemen » qui se réunissaient « A l’Oie et au Gril » ? Quel fut exactement le dessein d’Anderson ? Les Loges opératives de Londres, à cette époque, n’acceptaient-elles aucun membre non constructeur (le Jakin et le Doctor mis à part) ? S’opposaient-elles à toute extension des « privilèges de la Maçonnerie » en dehors du milieu professionnel ? Et comment se fait-il que les rituels spéculatifs qui nous sont parvenus (et qui, même s’ils ont subi l’influence des opératifs groupés dans la Grande Loge des « Anciens », n’en procèdent pas moins de l’événement de 1717) aient un caractère initiatique aussi incontestable ? La Maçonnerie spéculative compte trois grades auxquels on travaille successivement dans le même Temple, alors que les opératifs avaient sept grades auxquels on travaillait en même temps dans sept ateliers différents. Et pourtant, le système en trois grades est absolument conforme à ce que l’on sait de nombreuses autres organisations initiatiques. Et même s’il est vrai (ce que nous n’avons pas à envisager pour le moment) que la maçonnerie andersonienne ne comportait que deux grades : Apprenti et Compagnon, il faut bien remarquer qu’il en est de même dans d’autres organisations similaires, telles que le Compagnonnage et la Charbonnerie. Nous espérons que les nouveaux documents que The Speculative Mason nous promet jetteront quelque lumière sur les problèmes que nous venons d’aborder, et dont la solution serait si utile pour l’interprétation correcte des événements qui bouleversèrent le monde maçonnique anglais pendant toute la durée du XVIIIe siècle. — Toujours dans le même n°, un article donne quelques passages des visions de Swedenborg sur les « habitants » des diverses planètes. René Guénon a déjà signalé combien il est étrange que Swedenborg n’ait vu dans les mondes qu’il « visita » que des êtres humains (Cf. E. T. de juin 1935, p. 261). Ajoutons que ces êtres sont étonnamment peu variés. Ainsi il n’y aurait que deux sortes de Vénusiens, les uns « doux et humains », les autres « sauvages et brutaux », Quelle étrange limitation de la « possibilité humaine » ! — Dans le même n°, suite et fin du récit des aventures de Gubbaun Saor, « le Franc-maçon de la mythologie irlandaise », en cours de publication depuis plusieurs n°s. — Enfin, parmi un grand nombre de notes sur un livre récemment paru et traitant de la Maçonnerie anglaise, nous en signalerons une qui souligne combien il est improbable que Bonaparte ait reçu l’initiation maçonnique à Malte, où il ne résida que six jours en 1798, lors de son départ pour l’Egypte.

Masonic Light de janvier 1951

Dans Masonic Light de janvier 1951, notice nécrologique sur le duc de Devonshire. Il avait succédé, comme Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre, au comte de Harewood, qui lui-même avait remplacé le duc de Kent, qui trouva la mort en 1942 au cours d’un raid aérien auquel il participait. Le duc de Kent avait été installé en 1939, à la suite de la résignation du duc de Connaught, dont la grande-maîtrise, qui dura de 1901 à 1938, a été jusqu’ici la plus longue qu’on ait vue en Angleterre. — Dans le même n°, un article donne quelques renseignements sur le Rotary-Club, qui a été accusé récemment d’ « accointances maçonniques ». La vérité est que cette association, fondée en 1905 par un Maçon
de Chicago, Paul P. Harris, « n’a et ne peut avoir aucun lien avec la Maçonnerie ». La seule chose qui la différencie des autres convivial Societies si répandues en Amérique (l’auteur cite les Kiwanis, les Lions, les Optimists, les Chevaliers de Pythias, l’Ordre Indépendant des Forestiers, et aussi les Richelieu-clubs du Canada français) est que le Rotary est répandu dans le monde entier (et jusqu’en Chine) ; il compte en effet 5.000 cercles dans 80 pays différents. Il n’a aucun rituel, aucun « secret ». S’il est vrai qu’on y trouve de nombreux Maçons en Amérique, il n’en est pas de même dans les pays latins, et la qualité maçonnique ne joue en tout cas aucun rôle dans son mode de recrutement. — Dans un autre article, nous apprenons qu’un des dirigeants actuels du mouvement  antimaçonnique canadien eut Jadis des difficultés avec les autorités catholiques de son pays, à cause d’attaques inconsidérées contre les « Chevaliers de Colomb », qui sont pourtant une organisation spécifiquement catholique. On voit que la « haine du secret » revêt parfois les formes les plus inattendues. Le même article donne quelques détails sur le mouvement antimaçonnique qui fit rage au Canada dans les années 1941 et suivantes, détails qui montrent que les anti-maçons n’éprouvent pas le moindre besoin de renouveler leurs procédés … — Deux autres articles traitent des moyens d’améliorer le recrutement et l’instruction maçonniques. Les solutions préconisées sont la multiplication des « Loges d’instruction » et des cercles d’étude. Nous regrettons cependant de trouver, dans l’un de ces articles, un paragraphe qui pourrait faire craindre que l’auteur nourrisse certaines préventions contre les hauts grades. Nous. savons bien qu’il y a de l’ivraie dans cette exubérante floraison, mais Il serait regrettable qu’un maçon du rite d’York ne sente pas les enseignements précieux qu’on doit trouver dans la Mark Masonry, dans le Holy Royal Arch (qui du reste n’est pas un grade, mais le complément de la maîtrise), voire même dans certains des side degrees. Par contre, l’auteur a tout à fait raison de rappeler que l’Order of the Mystic Shrine « n’appartient pas à la Maçonnerie, mais est une simple organisation de Maçons », à propos de laquelle d’ailleurs l’opinion maçonnique américaine est des plus divisée. Il est à souhaiter que les idées exposées dans ces deux articles fassent des progrès, et nous ne voyons du reste aucune raison d’en douter, puisque l’un des auteurs déclare : « C’est l’étude de l’histoire, du symbolisme et de la philosophie de la Maçonnerie qui sauvera l’Ordre dans notre Juridiction, et nos dirigeants actuels en sont persuadés ». — Une courte étude sur la baguette, insigne des Diacres, souligne les deux sens principaux de ce symbole : autorité et pouvoir. Il faut ajouter qu’il s’agit d’une autorité déléguée ; les deux Diacres sont en effet les « instruments » des deux premiers officiers, et la baguette qu’ils portent joue le même rôle que le sceptre des hérauts de l’antiquité, « ministres de Jupiter et des hommes ». — Une autre étude, sur l’angle Nord-Est, donne ces renseignements intéressants : « Le Nord est la place de l’imperfection, et, dans les temps anciens, les corps des suicidés, des condamnés et des enfants morts sans baptême étaient ensevelis dans la partie Nord des cimetières. L’Est, d’autre part, est la source de la clarté. L’angle Nord-Est est par conséquent le lieu de séparation entre les ténèbres et la lumière ». Le symbolisme de l’angle Nord-Est est donc équivalent à celui de la lettre Y des Pythagoriciens, emblème des « deux routes » ; et cela justifie ce que nous avons écrit récemment sur cette lettre, comme symbole de l’entrée dans la « voie ». — Mentionnons enfin, toujours dans le même n°, la reproduction d’un discours prononcé à la fête de la Saint-Jean d’hiver, et où l’on trouve notamment : « La Maçonnerie s’occupe de symboles. C’est l’essence du symbolisme, chacun de ses emblèmes étant une tentative pour manifester une vérité trop grande pour être exprimée par des mots ».

Ogam

Dans le n° 6 (juillet 1950) d’Ogam, Katarnos décrit la « Terre des Jeunes » (Tir na n-Og), appelée aussi Tir na m-Beo (« Terre des Vivants »). C’est là que, d’après Plutarque, Jupiter retient Cronos prisonnier, c’est-a-dire que «  le Père des dieux est seul maître dans ce séjour et que le Temps n’a aucune emprise sur ceux qui l’habitent ». Dans l’ancienne littérature irlandaise, ces îles sont décrites comme un lieu de délices habité par des fées, où coulent des rivières de miel («  substitut » de l’ambroisie), et où les bienheureux sont bercés par le chant des oiseaux (cf. à ce sujet l’article de René Guénon sur Le Langage des Oiseaux, dans le Voile d’Isis de novembre 1931). Des vestiges de ces traditions ont persisté dans le folklore breton contemporain, et en particulier dans celui de l’île de Molène. — Dans ce n° et dans les n°s 10 et 13, Natrovissus donne la suite de son étude sur « Le mythe arthurien et la légende de Merlin », Il y passe en revue le symbolisme de la Table Ronde, de la mort d’Arthur et de son retour. Nous signalerons quelques points qui nous ont particulièrement intéressé. A propos du Graal et de son breuvage intarissable, l’auteur rappelle les « chaudrons d’abondance » celtiques (chaudron de Keridwen, chaudron du Dagda), et indique que si la nourriture que ces objets dispensent est inépuisable, c’est que la Connaissance symbolisée par cette nourriture est rigoureusement infinie comme la Possibilité totale. Au sujet de la mort d’Arthur, nous trouvons un grand nombre de détails assez peu connus généralement, et que nous résumons en employant les termes mêmes de l’auteur. « La dernière bataille que livra l’empereur des Bretons fut, selon Geoffroy de Montmouth, celle de Camlan contre son propre neveu Medrawd qui avait enlevé son épouse, la reine Guenièvre. A ce combat, Arthur est blessé mortellement et on l’emporte du champ de bataille, tandis que l’ennemi triomphe des Bretons qui pleurent la mort de leur chef, Il n’est cependant pas mort. Merlin et Taliésin l’emmènent à bord d’un navire conduit par le pilote Barynthus, vers « l’île des Pommiers qu’on dit bienheureuse », où règnent neuf sœurs habiles dans la science des nombres, la médecine et l’art de la harpe. Arthur est remis aux mains de l’aînée d’entre elles qui a nom Morgen (c’est la fée Morgane des romans de chevalerie français ; son nom signifie « née de la mer », ce qui l’assimile aux Sirènes). Morgen promet de guérir Arthur s’il reste près d’elle le temps nécessaire. L’île des Pommiers, appelée aussi Avallon, est décrite comme un séjour enchanteur, où les fleurs renaissent à mesure qu’on les cueille, où la terre donne sans travail deux moissons par an, et les pommiers deux récoltes de fruits. Le fer est Inconnu dans l’île. On y vit « cent ans et plus ». Une seule des pommes d’Avallon suffit à nourrir un équipage au cours d’une longue traversée, car la substance de ces pommes se reforme à mesure qu’on la mange, Tout cela assimile Avallon à la Terre des Vivants (Tir na m-Beo). Arthur représente la tradition primordiale ; il est blessé à mort, mais seulement en apparence ; en fait il ne peut mourir et il sommeille, attendant le moment de s’éveiller pour livrer la bataille décisive aux ennemis des Bretons, c’est-à-dire, avec la transposition légitime et nécessaire, aux « forces d’en bas ». Lorsque l’heure sonnera, il sortira de sa retraite et sera rejoint par les deux autres « ours », Cynan et Cadwalladr ; le monarque apparaîtra sous la forme d’un vieillard blanc, chevauchant un coursier blanc. L’épée d’Uther et d’Arthur, Escalibor (ce nom signifie « qui entame ce qui est dur »), forgée par Merlin en personne, a été engloutie dans la mer au soir de Camlan : de temps en temps elle sort de l’eau et jette des éclairs, et Arthur sorti de sa retraite la reprendra lui-même pour chasser l’étranger. Puis, avec une baguette blanche, il mesurera sur un fleuve de Cornouailles l’emplacement d’un moulin où chacun pourra moudre. Alors les chênes reverdiront, et l’on pourra de nouveau cueillir les fruits des pommiers de Merlin, aujourd’hui perdus dans les forêts de la Calédonie, et que l’on cherche vainement ». — Dans ce même n° et dans les suivants, un article signé Vissurix, sur diverses coutumes « populaires » des pays celtiques, utilise des renseignements fournis par The Speculative Mason d’avril 1949, sur un jeu pratiqué à Padstow (comté de Çornouailles), et qui est en relation avec la plantation du « mai ». L’auteur, indiquant qu’à Padstow c’étaient les charpentiers de marine qui plantaient le mai, rappelle que le symbolisme du mât est le même que celui de l’arbre, « les haubans avec leurs enfléchures jouant le même rôle que les branches de l’arbre, en tant que degrés par où l’homme monte vers les états supérieurs de l’être ». — Signalons enfin un court article signé Magonos, où sont rapportés des textes anciens d’où il semble résulter que le jeu d’échecs était connu chez les Celtes dès les temps les plus reculés, et n’est pas en Europe d’importation grecque ou orientale, comme on le croit couramment. L’auteur, d’autre part, fait ressortir la signification cosmologique de ce jeu, et souligne aussi sa supériorité sur les jeux modernes.

Ogam nº 10 de octobre 1950

[Ce numéro] débute par un article de M. Gaston Georgel sur « L’énigme d’Alésia ». Utilisant les ouvrages de Xavier Guichard et de M. Georges Colomb, M. Georgel fait le point dans les discussions interminables qui se sont élevées autour du texte du De bello Gallico, discussions auxquelles Napoléon 1er et Napoléon III se sont si curieusement intéressés. A vrai dire, il est surprenant qu’alors que l’emplacement de Gergovie, qui vit la grande victoire de Vercingétorix, n’a jamais soulevé de sérieuses difficultés, celui d’Alésia, qui vit la défaite définitive du défenseur de la Gaule, ait suscité tant de controverses. Ne serait-ce pas parce que, comme l’a remarqué René Guénon, « le passage d’un cycle à l’autre ne peut s’accomplir que dans l’obscurité » ? Quoi qu’il en soit, M. Georgel, dans l’article en question, s’attache surtout à mettre en valeur le rôle « central », au point de vue religieux, de l’Alésia des Mandubiens (Alaise dans le Doubs), et c’est pourquoi il l’identifie avec la cité fondée par Hercule et incendiée par César. Rappelant ensuite la décadence rapide de la tradition celtique devant le « polythéisme » romain, l’auteur écrit : « Comme un désastre militaire, si tragique fût-il, ne peut pas changer en quelques années l’âme d’une civilisation, il nous faut bien admettre qu’à l’arrivée de César le druidisme était déjà sur son déclin, et la tradition celtique de plus en plus voilée, en sorte que la catastrophe finale d’Alésia pourrait être considérée comme l’aboutissement inéluctable d’un lent processus d’obscurcissement et de désagrégation ». Nous citerons, aussi la fin de l’article : « Cette catastrophe (la ruine de la citadelle d’Alésia) ne consommait pas seulement la fin de l’indépendance gauloise et le début du grand empire romain sous le sceptre de César, mais plus encore l’éclipse définitive de l’Eleusis du monde occidental, de la cité sainte des peuples celtiques, désormais supplantée, et jusqu’à la fin des temps, par la Ville Éternelle elle-même : Rome ». — Dans le même n°, M. Géreint étudie une chanson populaire du pays de Galles intitulée « L’arbre sur la colline », et qui appartient à ce genre particulier auquel les folkloristes ont donné le nom de « randonnées » ou « chansons à récapitulation ». Celle qui est étudiée ici, et dont l’air a, paraît-il, un caractère archaïque très prononcé, se chante avec accompagnement de gestes spéciaux. Les premiers couplets tout au moins sont susceptibles d’une interprétation cosmologique que M. Géreint met très bien en lumière, et qui se réfère au double courant, d’évolution et d’involution, qui régit le monde manifesté.

 Les Cahiers d’Études cathares

Les Cahiers d’Études cathares (N° d’été 1950) publient la fin de l’étude de M. Fernand Niel sur la capitulation de Montségur. Cette étude, comme le dit l’auteur, montre à quel point l’histoire de ce dernier épisode de la croisade des Albigeois « se complique, dès que l’on examine, même superficiellement, les documents de l’époque ». Il n’est même pas possible de fixer la date exacte de la reddition de la forteresse, qui se produisit en mars 1244. Un point qui a beaucoup fait discuter, c’est que le commandant de la place, Pierre-Roger de Mirepoix, put en sortir avec la plus grande partie des hommes d’armes, alors que presque toute la population civile, soit 200 hommes et femmes, périt par le supplice du feu. Cependant, M. Niel défend énergiquement Pierre de Mirepoix de l’imputation de trahison qui a été portée contre lui, et rappelle que la décision de rendre Montségur, qui passait pour imprenable, et qui était du reste abondamment approvisionnée, semble avoir été arrêtée en accord avec les chefs de l’Église cathare. M. Niel, d’autre part, examine le cas de Ramon de Pérelle, seigneur de Montségur, qui, selon certains auteurs, aurait été condamné à la prison perpétuelle ; il montre que ce point est loin d’être prouvé, et il penche à croire qu’il demeura libre, ce qui est d’autant plus singulier qu’il avait vu monter sur le bûcher sa femme Corba et sa fille Esclarmonde. Après cette remarquable étude, bien des points encore restent dans l’ombre, et nous pouvons conclure avec l’auteur : « Montségur garde un secret qui n’a pas été révélé devant le tribunal de l’Inquisition. Le dernier mot sur la célèbre forteresse cathare n’est pas près d’être prononcé ». — Dans ce même n° et dans celui d’automne, suite et fin de l’article commencé dans le n° de printemps : Pistis-Sophia ou lenseignement du Ressuscité, M. Déodat Roché y résume très complètement, et, nous semble-t-il, très habilement, les diverses parties du célèbre traité gnostique : le récit de l’apparition de Jésus à ses disciples après sa résurrection, le mythe de Sophia, les voies de salut, les mystères purificateurs et les initiations, la mort et le voyage des âmes dans l’au-delà, le sort des âmes impures, la crainte de dissolution dans les ténèbres extérieures, et le salut par la miséricorde infinie du Christ. La plupart des auteurs qui ont étudié ce texte en ont souligné les difficultés et le caractère extrêmement confus, ce qui n’est pas pour étonner puisque, selon l’un de ces auteurs, le théologien Ch. Schmidt, cet ouvrage est « une compilation faite à une époque de décadence ». Nous noterons ici deux points qui nous semblent particulièrement importants. Ainsi, Marie-Madeleine, disant à Jésus l’inquiétude des disciples devant le « mystère des antinomies , s’entend répondre par le Sauveur que ce mystère « est plus aisé que tous les autres et que pour le comprendre il s’agit simplement de renoncer au monde entier, à ses soucis, aux pensées mauvaises et à toute la matière qui est en lui. Ce mystère est aux apôtres et aux parfaits ascètes parce qu’ils ont renoncé au monde ». D’autre part, dans le récit de l’ascension du Christ, « Adamas, le grand tyran, et tous les archontes qui sont les tyrans de l’humanité, se mettent à combattre contre la lumière de Jésus, mais ce dernier leur enlève un tiers de leurs vertus, afin qu’ils ne puissent pas agir dans les œuvres mauvaises de la magie, et que les mystères apportés en bas par les anges transgresseurs ne puissent s’accomplir. Ensuite il change le sens de la rotation de la sphère du destin, afin que les douze Eons ne sachent rien désormais de l’avenir, et que les astrologues déroutés ne puissent plus, par des horoscopes, enseigner avec certitude aux hommes qui sont dans le monde tout ce qui arrivera. Jésus a voulu ainsi libérer les âmes des influences astrales qui les retenaient hors de l’évolution terrestre normale et retardaient l’accomplissement du nombre des parfaits qui doivent hériter du trésor de lumière ». Nous pensons qu’il y aurait lieu de réfléchir quelque peu à ce texte, qui rappelle d’ailleurs plusieurs passages de saint Paul sur la « liberté chrétienne » , et qui fait allusion à certaines particularités du christianisme qu’on n’a pas assez remarquées.

Revue de l’Histoire des Religions

Dans la Revue de l’Histoire des Religions (n° de janvier 1950), M.Olivier Masson reproduit et commente un texte hittite qui prescrit les rites à accomplir pour la « lustration » d’une armée. Après une défaite, on faisait passer les troupes d’abord entre deux feux ; puis sous une porte en bois hattalkessar par-dessus laquelle on tendait un tijamar (la signification de ces deux mots, qu’on retrouve souvent dans les textes religieux hittites, n’a pu être exactement déterminée) ; enfin entre quatre victimes : un homme, un bouc, un jeune chien et un cochon de lait ; chacune des quatre victimes était coupée en deux parties, que l’on disposait de part et d’autre de la voie suivie par l’armée. Le rite se terminait par une aspersion générale des troupes et par un sacrifice dans la campagne. Des rites tout à fait comparables se retrouvent chez des peuples très variés. Pour l’antiquité, on en connaît des exemples dans les armées thébaines, macédoniennes et persiques. De nos jours, on les retrouve chez les matelots turcs ; en Haute Egypte et en Perse ; chez les Arabes du pays de Moab, les Chins de l’Assam et de Birmanie, les Bassoutos de l’Afrique du Sud ; enfin chez les Gitans de différents pays.  Il faut mentionner aussi les Koryaks, peuplade sibérienne habitant les rives de la mer de Behring, qui, pour conjurer une maladie, tuent un chien, étendent ses entrailles sur deux perches et passent par-dessous. Ce qu’il y a de vraiment curieux, c’est que des pratiques semblables sont certainement à l’origine des « arcs de triomphe » romains, dont le rôle « lustral » a été souvent souligné. À Rome, en effet, on avait coutume d’élever, dans les voies par où devait passer un général admis aux honneurs du « triomphe », des décorations provisoires où l’on suspendait les « dépouilles » des vaincus. Tous les rites de ce genre ont pour but la victoire, soit sur la maladie, soit sur une armée ennemie. Et c’est aussi en vue d’une victoire future qu’Abraham, sur l’ordre de l’Éternel, immola cinq animaux : une génisse, une chèvre, un bélier, une tourterelle et une jeune colombe ; puis « il les coupa par le milieu et mit chaque morceau l’un vis-à-vis de l’autre … Quand le soleil fut couché, il y eut une obscurité profonde ; et voici, ce fut une fournaise fumante, et des flammes passèrent entre les animaux partagés. En ce jour-là, l’Éternel fit alliance avec Abraham, et dit : Je donne ce pays à ta postérité ». (Genèse, XV, 10 et 17-18). Il va sans dire que, l’action d’Abraham ayant été commandée par l’Éternel, il ne peut s’agir là d’un rite magique, mais bien d’un rite « théurgique, ce qui doit être aussi le cas de plusieurs des exemples que nous avons rapportés plus haut. Disons en terminant que le rite de la « voûte d’acier », encore pratiqué dans toutes les armées du monde, a Iui aussi un rôle d’ alliance, et de protection. On sait qu’il a été transmis, sans doute au XVIIIe siècle, à la Maçonnerie spéculative (car la Maçonnerie opérative l’ignorait), et qu’il y Joue un grand rôle, tant dans les pays « latins » (aux grades bleus) que dans les pays anglo-saxons (aux grades chevaleresques du Temple et de l’Hôpital). — Dans le même n°, M. Louis Deroy publie un article, surtout linguistique, sur Le culte du foyer dans la Grèce mycénienne. Il y fait un rapprochement intéressant entre les mots grecs  (jeune fille) et (prytane) ; et il pense que parthénos a désigné à l’origine « la fille non mariée en tant que la personne normalement chargée de l’entretien du foyer domestique », Elle jouait donc, à l’égard du foyer familial, le même rôle que les prytanes à l’égard du foyer public. Les prytanes étaient des magistrats qui, dans de nombreuses cités grecques (notamment Athènes et Corinthe) étaient chargés, en plus de quelques attributions politiques secondaires, de la fonction grave et sacrée qui consiste à veiller au foyer de l’État et à faire sur son autel les sacrifices réglementaires. On sait que la même fonction était remplie à Rome par six jeunes filles nommées Vestales. L’auteur apporte à l’équivalence Vesta-Hestia des arguments nouveaux et rappelle qu’on a rapproché εστια de ιστια (mâture d’un navire) ; ιστóς signifie à la fois mât et métier à tisser. Ces rapprochements sont particulièrement évocateurs pour ceux qui connaissent les symbolismes du foyer et de la cheminée, du mât et de la navigation, de la « chaîne » et du tissage. Encore plus intéressants à notre point de vue sont les enseignements que l’auteur donne sur certains monuments grecs et romains. Ainsi, à Rome, le temple de Vesta était rond et contigu à la Regia, palais royal de Numa, de forme rectangulaire. La même disposition se retrouvait à Ithaque dans le palais d’Ulysse, et aussi à Tirynthe et dans la Skias d’Athènes (demeure des prytanes ou prytanée), composée d’un édifice rond, la tholos et d’un autre rectangulaire, le bouleutêrion. Nos lecteurs se rappellent les observations que René Guénon a faites sur une telle disposition des édifices, en rappelant que la Maçonnerie a conservé, dans l’atelier du 3e degré, la distinction entre les parties rectangulaire et circulaire du Temple, parties désignées par les mots hébreux de Hikal et de bir. — Toujours dans le même n°, article de M. Filliozat sur Avalokiteshvara, à propos d’un livre récent de Mlle de Mallmann. M. Filliozat critique l’étymologie que M. Louis Renou avait cru pouvoir donner du nom du célèbre Bodhisattva ; il le faisait dériver non pas de la racine avalok (regarder) du sanscrit classique, mais de la racine avaruc (briller) du védique, parce qu’« il était naturel que le sens védique fût oublié à l’époque relativement tardive de nos textes sur Avalokiteshvara ». Là vérité est que ce mot n’a jamais voulu dire autre chose que « Seigneur des regardés », ce que confirment d’ailleurs plusieurs textes anciens, Avalokiteshvara, figure capitale du « Grand Véhicule », est un Bodhisattva qui diffère le passage, auquel il a droit, dans la transcendance de l’état de Bouddha, en considération des malheureux qu’il veut secourir, et qu’il a fait vœu de sauver avant lui- même. On le représente à la fois comme « Jeune Homme » (Kumâra) et comme passeur ; il réside sur le Potala, image du Brahma-Loka. — Enfin, il faut signaler un très long article de M, Maurice Alliot, sur Le culte d’Horus à Edfou au temps des Ptolémées. Cette étude donne un grand nombre de renseignements sur le culte compliqué rendu au fils d’Osiris dans son sanctuaire d’Edfou, tant les jours ordinaires qu’au cours des 20 grandes fêtes annuelles. Nous avons été frappé par la place qu’y tiennent les processions, les navigations sur le Nil, les nuits passées « sur la montagne », les moments privilégiés de la journée (aube, midi et crépuscule) et du mois (les quatre quartiers de la lune). Certains détails rappellent étrangement le symbolisme maçonnique. C’est ainsi que le naos du dieu était fermé par une porte à double battant soigneusement verrouillée ; un tronc d’arbre ébranché était dressé pour commémorer la résurrection d’Osiris, dont le tombeau était situé au centre de quatre tertres sacrés : une telle disposition rappelle les quatre Maîtres montant la garde autour du cercueil d’Hiram. Une des plus grandes fêtes d’Horus était la fête de la Victoire qui durait cinq jours : les épisodes principaux en étaient le « cérémonial des dix harpons », les danses des  « harponneurs » et le sacrifice de l’hippopotame, symbole de Seth, et parfois représenté par une figure en cire rouge accompagnée de deux figurines de crocodiles aux têtes entrecroisées. Ce sacrifice, qui « compense » le meurtre d’Osiris, doit être rapproché de la « vengeance » que Salomon tira d’Abiram et de ses deux complices et qui constitue la « légende » des divers grades d’« Élu ». A la fin de son article, M. Alliot insiste sur le caractère parfaitement ordonné du culte égyptien, même à basse époque, conséquence de l’instruction soignée des prêtres et de la collaboration intelligente des architectes et des poètes rédacteurs des hymnes sacrés. « Quant au peuple des campagnes d’Edfou, ou venu de provinces lointaines, il prête son concours aux cérémonies avec moins d’ignorance qu’on ne le dit souvent aujourd’hui. Force nous est de constater que les gestes de sa foi ont pu avoir une valeur pour tous les hommes. Parmi les coutumes, langage muet de sa piété, beaucoup ne mourront pas avec les croyances qu’elles exprimaient ».

 Denys Roman.