E. T. nº 290, mars 1951, pp. 93-95

Le Symbolisme d’octobre 1949

Le Symbolisme d’octobre 1949 annonce la mort de Leo Fischer, vice-président de la Philalethes Society. — Dans un long article intitulé Maçonnerie et Action, M. J. Corneloup expose quelques considérations dont quelques-unes nous semblent intéressantes, mais dont beaucoup sont viciées parce que leur auteur se réfère uniquement aux rituels français actuellement en usage, et qui ont été (surtout aux 2e et 3e degrés) « modernisés » à l’extrême. C’est ainsi qu’on peut s’étonner de lire qu’Hiram-Abiff « nous apparait bien plus sous l’aspect d’un meneur d’hommes que sous celui d’un architecte ou d’un artisan ». Une telle assertion surprendrait certainement un Maçon du « rite d’York », habitué à entendre qualifier Hiram de « prince des architectes ». Et nous ne pouvons être d’accord avec M. Corneloup lorsqu’il prétend que le sacrifice d’Hiram a un caractère négatif, et qu’il est « un refus, non une affirmation ». C’est là méconnaitre entièrement la valeur éminemment positive de tout sacrifice rituel, et de telles déclarations sous la plume d’un Maçon nous paraissent aussi incompréhensibles que si nous entendions un chrétien qualifier de « négatif » le sacrifice du Calvaire, ou, pour prendre un exemple d’un autre ordre, un « fidèle d’Amour » traiter de même la mort de César sous les coups de Brutus et de Cassius. D’autre part ; M. Corneloup semble croire que les épreuves du second degré « engagent le Maçon dans la voie de de l’action sur le plan extérieur ». Comment concilier cela avec le fait que la spirale, dans les rituels traditionnels, est un des symboles essentiels du grade de Compagnon, et que cette spirale, bien loin de conduire le récipiendaire vers l’extérieur, le fait parvenir aux abords du centre ? Dans le cours de cet article, M. Corneloup cite un fait rapporté par Ruysbroeck l’Admirable : Une religieuse, s’étant arrachée à la « contemplation » du Christ-enfant pour aller soigner un malade, en fut louée par le Seigneur qui lui dit : « J’ai grandi dans ton cœur, parce que tu as renoncé à la consolation que tu trouvais en moi pour faire ma volonté en allant soigner l’un de mes membres ». Il est permis de se demander si c’est bien à la vraie contemplation que la religieuse se livrait, et si ce n’était pas plutôt à une simple « délectation » sentimentale et « consolante » qui est évidemment bien au-dessous du « service des membres du Christ ». Mais, ce « service des membres », et le service du Christ lui-même, c’est-à-dire la « vocation » de Marthe, sont incomparablement inférieurs à la contemplation vraie, c’est-à-dire à la communion totale avec Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie. C’est là la « vocation » suréminente de Marie, dont il est écrit : « Elle a choisi la meilleure part, et cette part ne lui sera pas ôtée ». – Dans le même numéro, M. Marius Lepage raconte comment la lecture de Papus l’amena très jeune à entrer dans la Maçonnerie, à laquelle du reste Papus n’appartenait pas, non plus que les principaux dirigeants du « mouvement occultiste » d’alors.

Le Symbolisme de novembre et décembre 1949

Dans le n° de novembre, M. Corneloup expose quelques-unes de ses vues sur les Écueils de la Théocratie. Mais il nous semble que les critiques qu’il formule contre ce mode de gouvernement portent non pas contre la théocratie véritable, mais bien contre cette caricature de la théocratie que constituerait forcément un tel régime établi dans un monde aussi anti-traditionnel que le nôtre. – Dans ce nº et dans ceux qui suivent jusqu’à juillet 1950, M. Louis Coulon étudie La Mystique de Balzac. Il reproduit de très nombreuses citations, prises principalement dans Séraphita, Louis Lambert, la Peau de chagrin, les Proscrits, Ursule Mirouet, et qui montrent à quel point le grand romancier était préoccupé par des idées qui dépassaient singulièrement les limites du matérialisme en vogue à son époque. Toutes réserves faites sur certaines des affirmations de M. Louis Coulon, nous pensons comme lui que Balzac n’a pas appartenu à une organisation initiatique, mais que sa grande intelligence, stimulée par la lecture de Swedenborg et d’autres théosophes (au sens propre de ce mot), s’éleva d’elle-même au « pressentiment » de certaines vérités, qu’il a su parfois remarquablement formuler. – Toujours dans le nº de novembre, à propos de la publication du Problème du Mal Stanislas de Guaita, nous trouvons 3 lettres, dont l’une de notre collaborateur Jean Reyor. – Dans le nº de décembre, long article de M. Marius Lepage sur Quelques points d’histoire maçonnique. L’auteur y discute certaines des affirmations du R. P. Berteloot dans son livre : Les Francs-Maçons devant l’histoire. Il se base pour ce faire sur des ouvrages récemment parus en Angleterre, et qui semblent bien rectifier dans une certaine mesure quelques idées communément admises sur les origines de la Maçonnerie spéculative. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces discussions, mais nous pouvons dès maintenant faire nôtres certaines des affirmations de M. Lepage, d’après lesquelles « à propos d’une question aussi embrouillée que celle des origines de la Maçonnerie, il est impossible de ne pas commettre d’erreurs », et « il y a de bonnes raisons de penser que personne ne connaîtra jamais le fin mot de l’histoire ». – Quelques-unes des assertions de M. Lepage ont été critiques par M. G. Luquet (Symbolisme de mars 1950) dans un article extrêmement bien documenté, et contenant de nombreuses références au texte des Constitutions de 1723 et 1738. M. Lepage avait affirmé entre autres qu’Anderson n’était pas encore Maçon en 1717 et  n’avait été initié qu’en 1721. M. Luquet n’a pas de peine à montrer qu’une telle assertion est absolument dénuée de tout fondement, et rappelle qu’on ne connaît ni la date de naissance d’Anderson, ni celle de son admission dans l’Ordre. Il nous souvient d’avoir lu jadis dans une revue américaine un article qui donnait quelques détails sur les débuts de la carrière maçonnique d’Anderson. On pense qu’il reçut la lumière avant 1717 à la loge d’Aberdeen dont son père était membre ; le fait que les procès-verbaux de cette loge ne font pas mention de l’initiation du fils ne prouve rien, car ces procès-verbaux ne nous sont pas parvenus au complet. Et la présence dans le texte des Constitutions de termes maçonniques spécifiquement écossais (par exemple ceux de Fellow-craft et de cowan) vient singulièrement renforcer cette hypothèse.

The Speculative Mason [février] 1950

Le second numéro de 1950 du Speculative Mason débute par d’excellentes considérations sur certaines « idoles » modernes qui ne sont que l’aspect inversé de vérités et de « vertus » traditionnelles. Viennent ensuite d’intéressants renseignements sur l’ancienne Maçonnerie opérative et plus précisément sur les rites encore pratiques en Angleterre au début de notre siècle. Nous noterons qu’à l’origine, les opératifs se réunissaient dans des carrières, et qu’aux grandes festivités, les travaux, interrompus par deux « récréations », duraient du lever du soleil à son coucher, et étaient prolongés par une fête terminée par le « chant du Tuileur ». Nous sommes d’accord avec notre confrère pour penser que la preuve de l’« authenticité » des rituels opératifs réside dans leur conformité avec la tradition universelle, et c’est pour cela du reste que René Guénon leur témoignait tant d’attention ; mais, contrairement à l’auteur de l’article que nous analysons, nous estimons que le fait que l’un des informateurs les plus abondants sur cette question était un « ingénieur distingué » n’a absolument rien à voir dans l’affaire. – Trois articles sont consacrés à la Mark Masonry, dont l’atelier est censé figurer non pas le Temple, mais les « carrières de Salomon » (ce qui est à rapprocher de ce que nous avons dit plus haut, et qui confirme l’origine opérative de ce grade). Le président d’une « Loge de la Marque » représente Adonhiram, « chef des constructeurs ». Signalons enfin deux notes du plus grand intérêt. La première a trait à la « chaîne » qu’on trouve dans un grade du rite écossais qui est dit le nec plus ultra de la Maçonnerie, et dans certaines versions d’un grade du « rite d’York » appelé the very essence of Masonry. On la trouve aussi dans un des Cryptic Degrees. La seconde note concerne la curieuse pratique des Maçons opératifs, qui, dans leurs « drames » annuels « ouvrent la loge VIIe degré et travaillent en descendant ». Cette méthode est justifiée par le fait que ces « drames » commémorent symboliquement les grands événements spirituels qui ont leur correspondance dans le drame cosmique. C’est pourquoi ils suivent « l’ordre universel de la création », nous dirions plutôt le « le processus de la manifestation », qui va du supérieur à l’inférieur. Et, pour le dire en passant, la présence de rites de cette nature, si opposés à l’idée moderne du « progrès », montre bien le caractère archaïque et l’« authenticité traditionnelle » des rituels de la Maçonnerie opérative.

Masonic Light de Montréal nº de septembre 1950

Masonic Light de Montréal (nº de septembre 1950) publie la réponse d’un rabbin consulté sur le point de savoir si un Israélite peut prêter le serment maçonnique la tête découverte. Cette réponse est « qu’un juif orthodoxe n’a pas le droit de mentionner le nom du Tout-Puissant, mention qui revient fréquemment dans le rituel maçonnique, en ayant la tête découverte ». L’article précise que, dans quelques loges américaines, les Juifs se couvrent pour prêter ce serment, et il ajoute que les Musulmans sont toujours couverts en loge, et que les présidents des loges américaines, pendant le travail, demeurent constamment couverts ; cette dernière particularité existait aussi autrefois en France, mais malheureusement elle est abandonnée depuis longtemps. – Un article contient quelques remarques sur la mort, provoquées par une particularité des rituels américains du 3e degré : la lecture du chapitre XII du livre de l’Ecclésiaste. – Une particularité louable de cette revue, c’est sa volonté proclamée de lutter contre l’ignorance de trop de Maçons en ce qui concerne l’histoire, le symbolisme et les traditions de leur Ordre.

Denys Roman.