E.T. N°396-397 : 07-08 et 09-10 1966

Les revues

Le symbolisme d’Avril 1966 (suite)

       Vient ensuite un autre article maçonnique par M. Jean Clerbois, intitulé : … Passé à l’Orient Éternel. L’auteur donne la formule utilisée actuellement pour la « déploration » qui fait partie de la batterie de deuil. On peut se demander à ce propos si l’expression « mais espérons », qui termine cette déploration est réellement ancienne, et si la formule primitive ne se limitait pas aux trois « gémissements » qui rappellent le « hurlement sur la tombe » du Compagnonnage.

Cette question du passage à l’Orient Éternel, abordée un peu trop superficiellement dans deux numéros successifs du Symbolisme, est importante ; car si la Maçonnerie est vraiment ce qu’elle prétend être, ses rites funéraires doivent avoir une tout autre « valeur » que celle de simples cérémonies « consolantes ». Voulant prouver que toutes les civilisations ont cru à la « vie future », M. Clerbois reproduit de très nombreuses citations, qui vont des Atlantes (assimilés abusivement aux Hyperboréens) jusqu’à Paul le Cour et Teilhard de Chardin.

Ces citations, et surtout les remarques qui les accompagnent, sont parfois intéressantes, parfois aussi surprenantes. Citons entre autres : « on a dit que Dante fut un gnostique, c’est vrai si l’on considère que, comme les disciples de Simon le Magicien, il renia l’apôtre Pierre. En fait, adversaire de la papauté, son œuvre est une épopée johannique. Il prend pour guide Saint Bernard qui avait rédigé la règle de l’Ordre du Temple ».

Si Dante avait vraiment renié l’apôtre Pierre pour suivre Simon le Magicien, Saint Bernard n’aurait pu lui servir de guide, car l’abbé de Clairaux, durant toute sa vie, fut le fils soumis et le serviteur dévoué de la chaire de saint Pierre, et il professait une horreur particulière pour la « simonie », sacrilège dont il attribuait la paternité (comme toutes les Églises chrétiennes d’ailleurs) à Simon le Magicien.

Vers la fin de son étude, M. Clerbois écrit : « oui mes Frères, le travail ne s’arrête jamais. ». Nous savons bien que cette phrase a été incorporée assez récemment à certains rituels. Mais on conviendra qu’elle ouvre des perspectives peu réjouissantes…

       Ce numéro contient encore trois autres articles. L’un intitulé Propos sur la Sagesse, est inspiré du « Maçonnisme » d’Oswald Wirth, mais se termine par une page de René Guénon. Un autre est une protestation, en termes parfois…déroutants contre l’ « urbanisation » forcenée qui sévit actuellement dans tous les pays, et qui est évidemment liée à la « solidification de monde ». Le troisième article, de M. Gilles Ferrand, est intitulé : « Une sculpture vénitienne ou l’Adam régénéré. Il s’agit en réalité d’une sculpture de l’école lombarde du XIIème siècle, achetée à Padoue par un collectionneur vénitien, et qui représente la tentation d’Adam, mais avec certaines particularités vraiment énigmatiques. M. Ferrand propose une interprétation hermétique de cette œuvre, ce qui est d’autant plus difficile que la sculpture est mutilée dans une partie essentielle : la tête du serpent. Même si on ne suit pas l’auteur dans toutes ses conclusions, on peut admirer l’ingéniosité de ses vues et sa familiarité avec les symboles de plusieurs sciences traditionnelles. Nous permettra-t-il cependant une « critique » ? Soulignant le fait que sur la sculpture, Eve est « totalement passive, et semble ne rien faire, ne participer en rien aux avatars de son compagnon en lutte avec le serpent », M. Ferrand écrit en note : « La passivité expressément requise de la femme traditionnelle est la base de toute réalisation métaphysique. ». Est-ce bien exact ? La Table d’Emeraude prescrit : « Va voir les femmes qui lavent le linge et fait comme elles ». Les lavandières ne sont point tellement passives ; et leur battoir rappelle singulièrement le maillet maçonnique, symbole de la foudre, qui est le principe actif par excellence. D’autre part, le Trésor hermétique représente un homme et une femme tordant ensemble une pièce de lingerie. Il est à remarquer que dans ce « travail », l’homme et la femme exécutent le même « acte » c’est-à-dire que chacun tord le linge en sens « solaire », et ce qui rend leurs actions complémentaires, c’est uniquement le fait que tous deux se font vis-à-vis. Nous nous permettons de rappeler ce symbolisme (emprunté d’ailleurs à la « voie humide ») à M. Ferrand. Sans doute il ne s’agit là que de la première phase de l’œuvre, celle qui consiste à « séparer le subtil de l’épais ». Mais selon la tradition hermétique, tout le reste n’est-il pas « labeur de femmes et travail d’enfant » ?

       Cette sculpture est reproduite en hors-texte ainsi qu’un dessin sur lequel M. Ferrand a tenté de reconstituer la partie mutilée. En hors-texte également sont un portrait d’Oswald Wirth jeune et celui de Stanislas de Guaita, dont nous parlions récemment à propos de ses luttes avec les héritiers de Vintras ; on sait qu’Oswald Wirth fut la secrétaire de Guaita quand ce dernier dirigeait la « Rose-Croix Kabbalistique ».

Denys Roman