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E.T. N°424-425 – Mars-avril et mai-juin 1971

LES REVUES

Dans le Symbolisme (n° de janvier-juin 1970), M. Jean- Pierre Berger donne la traduction du manuscrit Graham, daté de 1726, mais qui n’est connu que depuis 1936. Le traducteur remarque qu’« il diffère très profondément des autres manuscrits maçonniques pris dans leur ensemble ». Aussi envisage-t-il l’existence probable, dans l’ancienne Maçonnerie, de courants traditionnels « substantiellement différents ». Le manuscrit Graham est somme toute assez peu intéressant. Les constructeurs de la tour de Babel y sont mentionnés en termes défavorables, alors qu’ils sont loués dans les Old Charges. Comme, en 1726, on était en pleine période « andersonienne », il n’est sans doute pas interdit de supposer qu’une telle innovation avait pour but de rendre les « légendes » maçonniques plus confor­mes à la lettre des Ecritures chrétiennes. Une autre cho­se curieuse, c’est que le rôle d’Hiram-Abif y est, pour ainsi dire, tenu par Noé. Cela pourrait donner lieu à d’intéressants rapprochements.

— Dans le même numéro, nous signalerons un article intéressant de M. Jean Tourniac, intitulé : « L’abbaye de Saint-Victor et la spiritualité médiévale », à propos d’un livre récent de M. l’abbé Jean Chatillon. M. Tourniac mentionne certains points assez curieux de la biographie du fondateur, nommé Achard. Nous voudrions ajouter quel­ques remarques qui d’ailleurs dépassent le cadre que sem­blent s’être fixés MM. Chatillon et Tourniac, mais qui se rapportent à l’un des épisodes les plus célèbres de la littérature ésotérique de langue française. Pantagruel, aus­sitôt arrivé à Paris, se précipite à la fameuse abbaye pour y consulter « les beaux libres de la librairie Saint-Victor ». Tout le chapitre VII du livre de Pantagruel est consacré à l’énumération cocasse et truculente de ces prétendues ouvrages : la plupart des titres, heureusement, sont en latin ; et parmi ceux qui sont en français, on ne peut guère citer que « Le Moutardier de pénitence » et le traité « Des pois au lard, cum commento ». Quelle raison pouvait bien avoir Rabelais pour déployer ainsi sa verve impitoyable aux dépens des religieux de Saint-Victor ? Certains « maîtres » de l’histoire littéraire ont regretté à ce propos que Rabelais « abuse de l’énumération, procédé peu comique ». Ce sont là des critiques tout extérieures, et Rabelais était bien autre chose qu’un « homme de let­tres ». Il devait avoir ses raisons pour attribuer plaisam­ment aux « Victorins » la lecture de ces 140 ouvrages peu en rapport avec la réserve monastique ; et l’accumulation de bouffonneries un peu trop libres qu’il se permet n’était sans doute qu’un voile destiné à « couvrir » ce qui allait suivre : car Rabelais, utilisant le symbolisme de Silène (l’ivrogne juché sur un âne qui précède Dionysos, le dieu paré de l’améthyste), nous a prévenus que c’est dans les boîtes d’apparence les plus vulgaires qu’il place les meil­leurs onguents . Au chapitre suivant (chap. VIII de Panta­gruel), on trouve effectivement la lettre de Gargantua, d’un tout autre caractère, et dont la date semble bien avoir une « résonance » templière (cf. E.T. de septembre 1969, p. 210, n. 14). — Les gloires de l’abbaye de Saint- Victor au XIIe siècle furent en relations d’amitié avec saint Bernard et, comme certains Cisterciens, ils contri­buèrent à la diffusion des plus remarquables des Pères grecs. Il serait intéressant de rechercher quelle fut l’attitu­de des religieux de Saint-Victor pendant le procès des Templiers. Ce point élucidé permettrait peut-être de com­mencer à débrouiller la question fort complexe des « affi­nités traditionnelles » de Rabelais.

— Nous signalerons enfin, toujours dans le même numé­ro, le début d’un très long article de M. Robert Amadou sur « Louis-Claude de Saint-Martin et la Franc-Maçonne­rie ». Nos lecteurs savent le peu d’intérêt qu’accordait René Guénon au Philosophe Inconnu. Mais il y a dans l’article de M. Amadou deux remarques incidentes entre lesquelles, à première vue, il n’y a pas de liaison, mais qui pourraient bien en avoir une d’un certain ordre. Il note en effet que le « dossier Téder » a disparu de la Bibliothèque de Lyon où il était conservé avec d’autres documents de la collection de Papus. Une telle disparition n’est peut-être pas tout-à-fait irréparable. Il semble, en effet, qu’un certain nombre de documents de l’Ordre du Temple rénové, qui devraient coïncider pour une part avec le contenu du dossier Téder, aient été conservés en mains sûres. Nous pensons qu’il en sera fait état quelque jour : au reste, « le temps et les circonstances » en déci­deront.

Passons maintenant à l’autre remarque de M. Amadou. Il cite une lettre publiée dans L’Acacia de mars 1909 et signée par L. Desjobert, R. Guénon et Victor Blanchard. On y lit :

« Ce que le cléricalisme et la réaction sous toutes ses formes redoutent par-dessus tout, ce sont les maçons qui « se rattachent à la tradition de l’illuminisme, et cela se comprend aisément lorsqu’on sait quel fut le rôle historique des Illuminés. Ce sont eux qui travaillèrent sans relâche à l’affranchissement de l’Humanité, qui préparèrent la Révolution française, qui rédigèrent la « Déclaration des Droits de l’Homme » ; c’est à l’un des plus illustres d’entre eux, à L.-CL. de Saint-Martin, qu’est due la grande Trilogie : « Liberté, Egalité, Fraternité », qui fut une devise maçonnique avant de devenir la devise républicaine ».

La lettre dont ce paragraphe est extrait (elle en contient huit autres absolument du même genre) est datée du 22 février 1909. Dix mois plus tard paraissait le premier numéro de La Gnose, où Palingénius (Guénon) commen­çait la publication de son œuvre écrite qu’il ne devait abandonner qu’à sa mort. Il suffit de comparer la lettre adressée à L’Acacia — qui rassemble les lieux-communs les plus rebattus de l’occultisme et de la Maçonnerie politicar­de — avec les premiers articles de La Gnose, qui portent en germe toute l’œuvre subséquente du Maître, pour me­surer l’ampleur de la « modification » qui s’est opérée chez ce tout jeune homme, à une date qu’il est très difficile de déterminer avec précision, mais qui doit se placer dans le cours de l’année 1909. L’étude des documents de l’Ordre du Temple rénové, quand il sera loisible de les examiner, permettra peut-être de résoudre cette énigme.

Mais M. Robert Amadou n’effectue pas un tel rapprochement. Simplement, après avoir rapporté le texte de L’Acacia, il qualifie Guénon de « métaphysicien très ri­goureux, mais historien sans critique et d’ailleurs historiophobe ». Nous proposerons une modification à ce ju­gement qui nous parait un peu… hâtif. La lettre dont M. Amadou a reproduit un fragment ne permet pas de déceler si Guénon (l’un des signataires) était ou n’était pas mé­taphysicien ; et il est vrai que les thèses historiques expri­mées dans cette lettre manquent de critique et sont même d’une banalité et d’un « conformisme » surprenants. En revanche, le Guénon de La Gnose et de ce qui a suivi est le plus grand métaphysicien dont l’œuvre nous soit parvenue ; et, bien loin d’être « historien sans critique » ou « historiophobe », il a projeté sur ce qu’est devenue aujourd’hui l’histoire la critique la plus lucide, la plus constante et la plus impitoyable.

A une époque où, sous l’influence de Paul Valéry, la légitimité même de l’histoire était contestée par de nom­breux esprits, Guénon, prenant prétexte de la publication par son ami André Lebey d’un opuscule intitulé Nécessité de l’Histoire, soutenait hautement cette nécessité et dé­nonçait les dangers très graves de toute méconnaissance de l’histoire, — de l’histoire qui est une science tra­ditionnelle d’une éminente dignité. Mais, en même temps, Guénon dénonçait les graves méfaits de la « falsification de l’histoire », à l’œuvre depuis plusieurs siècles, et qui a finalement abouti à ce que certains tentent aujourd’hui d’imposer sous le nom tout-à-fait éloquent de « quanti­fication de l’histoire ». Des historiens gaspillent leur talent à étudier l’« évolution des prix » sous Pépin le Bref, où les variations des « taux de nuptialité » dans le Bas Palatinat au moyen âge. Cela ne manque pas d’intérêt ; et l’emploi, qui commence, des ordinateurs nous promet de nouveaux et considérables progrès. Non, cela ne manque pas d’intérêt. Surtout pour ceux qui tiennent par-dessus tout à ce que les recherches historiques ne débouchent en aucun cas sur des découvertes qui pourraient laisser soupçonner l’existence de « la formidable entreprise de suggestion qui a fabriqué la mentalité moderne » (Le Règne de la quantité et les Signes des temps, p. 90).

Guénon, nullement « historiophobe », a énoncé les con­ditions d’une véritable « philosophie de l’histoire ». Parmi ces conditions, il faut mentionner tout d’abord l’abandon des préjugés évolutionnistes, et ensuite la référence aux doctrines traditionnelles des cycles cosmiques et de la domination successive des différentes « castes » de l’hu­manité (cette dernière doctrine ayant d’ailleurs été explicitement formulée par Platon dans la République et dans les Lois). Les historiens actuels sont évidemment aux an­tipodes de telles conceptions, et ne peuvent prendre au sérieux un auteur qui ne croit pas au hasard ni aux révolutions spontanées, qui admet l’existence d’« un courant de satanisme dans l’histoire », qui prétend que les méthodes de l’érudition modernes ont été inventées pour égarer ceux qui les utilisent, et qui affirme que toute l’histoire contemporaine est à récrire. Pourtant, des historiens de valeur, quand ils se trouvent réunis en « ta­ble ronde » pour discuter, conviennent parfois que la scien­ce historique d’aujourd’hui est en état de crise — ainsi, parait-il, que toutes les « sciences de l’homme » en géné­ral. Qui sait ? Un jour viendra peut-être où des historiens s’inspireront des principes posés par Guénon (principes métaphysiques, c’est à dire s’appliquant à l’universalité des sciences) et se détourneront des tendances des différentes écoles historiques actuelles, tendances qui toutes ne visent qu’à l’accumulation d’une quantité de détails d’où ne peut surgir aucune synthèse.

Les Lettres Mensuelles sont une revue maçonnique dont la publication s’était interrompue durant 5 ans. On y trou­ve, à côté d’articles sur la Maçonnerie, d’autres qui traitent de questions économiques et même para-politiques. Nous ne parlerons ici que des premiers. Le n° de janvier-février 1970 contient un bon article de M.J. Corneloup intitulé : « Regards sur la Franc-Maçonnerie aux Etats-Unis d’Amé­rique ». La partie historique rappelle brièvement les principaux faits qui ont marqué la vie de l’Ordre dans la Nouvelle-Angleterre : les premières fondations de Loges par les « Modernes » vers 1733 ; l’intervention, en 1752, des « Anciens » qui, malgré la résistance de leurs adversaires, « imprimèrent, dit M. J. Corneloup, leur cachet particulier à la Maçonnerie américaine » ; l’introduction par des Maçons français (et notamment par Etienne Morin) des grades du « Rite de Perfection » ; les conséquences de la guerre d’indépendance, qui provoqua la formation d’une Grande Loge autonome dans chacun des 13 Etats de l’Union, et aussi la fondation d’une Maçonnerie réservée à la race noire (Prince Hall Masonry) qui par la suite devait connaître une très grande extension ; l’introduction des hauts grades du Rite d’ York (Chapitres de Royale Ar­che et Camps de Chevaliers du Temple) vers 1800 ; la cons­titution à Charleston du premier Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté en 1801 ; la terrible crise anti-maçonnique provoquée par la disparition en 1826 de William Morgan (un Mormon) ; et les vicissitudes des re­lations maçonniques avec l’Angleterre et surtout avec la France. L’auteur parle également des « annexes » non ma­çonniques crées pour les femmes, et qui rappellent un peu la Maçonnerie d’adoption du XVIIIe siècle. M. Corneloup n’est pas tendre pour les Maçons américains dans son article ; mais beaucoup de ses critiques à la Maçonnerie américaine devraient bien plutôt s’adresser à la civilisation américaine elle-même. Il est injuste de dire du Maçon américain qu’ « il est à ranger dans la catégorie des sectateurs du Veau d’or ». Les sectateurs du Veau d’or, hélas ! ce sont, avec les Américains, les Européens eux-mêmes qui, depuis des siècles, pratiquent avec ferveur le culte de Mammon. Ne nous voilons pas la face pudique­ment : si l’Europe imite aujourd’hui l’Amérique (et si, se­lon toute vraisemblance, le monde l’imitera demain), c’est l’Europe qui a commencé à donner à tous le mauvais exemple — M.J. Corneloup, qui, durant toute sa carrière maçonnique, a travaillé, non sans efficacité, au maintien et à la restauration des usages rituéliques, écrit : « C’est seulement dans l’intimité de la méditation que le Maçon tient approcher l’initiation », et il semble douter que les conditions de la vie maçonnique américaine favorisent le « perfectionnement rituel » de ses membres. Mais qui peut l’affirmer ? Ils sont peut-être plus nombreux qu’on le pense, les Maçons américains qui ont pris au sérieux l’in­jonction qui leur fut adressée le soir de leur initiation : « de faire chaque jour un nouveau progrès dans l’art de la Maçonnerie ».

Dans son article, M. Corneloup a omis de signaler une particularité américaine touchant l’organisation des hauts grades non « écossais ». Alors qu’en Angleterre ces grades sont indépendants les uns des autres et peuvent être reçus dans un ordre quelconque, en Amérique au contraire ils sont hiérarchisés et répartis selon une division où l’on peut déceler l’intention de distinguer entre la Square Ma­sonry (utilisant un symbolisme rectiligne), l’Arch Masonry (utilisant un symbolisme curviligne), la Cryptie Masonry (dont le symbole essentiel, la « pierre de fondation », peut être rapproché du luz) et la Chivalric Masonry. Un tel « système », qui constitue le « Rite d’ York » proprement dit, a pour grade suprême celui de Chevalier Templier ».

Dans ce même n°, un autre article, de M. Jean Bossu, parle du général de Sonis à propos d’une biographie déjà ancienne de ce soldat héroïque, né à la Guadeloupe, et qui, malgré ses opinions monarchiques « légitimistes », fit une brillante carrière militaire sous le Second Empire et la IIIe République. Bien que catholique fervent, il appartint à la Franc-Maçonnerie. La biographie en question a donné de ce fait des explications relevant de la plus haute fan­taisie et dont M. Bossu n’a pas de peine à démontrer l’inanité. Il rétablit les faits d’après des documents diffi­cilement contestables. Sonis, alors élève à l’école de cava­lerie de Saumur, fut initié à la Loge « La Persévérance ». Affecté ensuite à un régiment en garnison à Castres, il devint Maître des Cérémonies de la Loge « L’Harmonie Universelle ». Quelques années plus tard, vint à la tête de son régiment un nouveau colonel, nullement hostile à l’Ordre, mais qui, estimant la Loge de Castres « mal fré­quentée » (en comparaison, paraît-il, avec celle de Moulins), défendit à ses officiers d’assister aux tenues. Sonis dut s’in­cliner comme les autres. Il ne semble pas cependant qu’il ait jamais donné sa démission, et il est bien possible après tout que, déçu par l’évolution de la Maçonnerie française et surtout du Grand Orient, Sonis soit demeuré un Maçon volontairement « en sommeil ».

L’article de M. Bossu, très limité dans son objet, n’avait pas à faire mention d’autres faits qui ne sont peut-être pas uniquement « pittoresques ». Le général de Sonis ne s’est- il pas engagé, avant la fin du Second Empire, dans le corps des « zouaves pontificaux » qui tentèrent un effort désespéré pour maintenir le trône de « Pie IX pape et roi » ? Après la ruine de cet ultime espoir, Sonis ne fit-il pas partie, avec beaucoup d’autres zouaves pontificaux, des « Volontaires de l’Ouest » qui, sous la conduite de Charette, combattirent les armées allemandes et se cou­vrirent de gloire à la bataille de Loigny ? Sonis et Charette sont d’ailleurs enterrés dans l’église de Loigny, et le cimetière de ce village conserve les restes d’un grand nombre de zouaves pontificaux qui tombèrent là le 2 dé­cembre 1870. Il y avait aussi dans ce pays un monastère de Bénédictines qui, vers la fin du XIXe siècle, se révoltèrent contre l’autorité diocésaine. Chose assez curieuse : après la déconfiture de Léo Taxil, une des personnes qui se faisaient passer pour Diana Vaughan eut l’intention, pa­rait-il, d’entrer en contact avec ce monastère. Guénon a fait mention incidemment de cet étrange « pèlerinage » (cf. Etudes sur la F.-M., t.l, pp. 103-104).

—     Le même auteur, dans le n° suivant (mars-avril 1970), fait quelques réserves sur l’article de M.J. Corneloup dont nous parlions plus haut ; dans cet article, M. Corneloup critiquait la pratique, obligatoire en Amérique, de réciter le rituel entièrement par cœur. M. Jean Bossu insiste sur les avantages de la récitation sur la simple lecture. Mais nous pensons qu’il aurait pu aller plus loin encore, car le but de l’initiation est bien au-delà de l’« impres­sion » que peut faire sur le récipiendaire un rituel plus ou moins bien exécuté.

Après cet article du n° 2, il nous faut attendre le n° 9 (octobre 1970) pour trouver un article digne d’inté­rêt du point de vue initiatique. Cet article est signé de M. Jean Baylot et intitulé : « La Franc-Maçonnerie traditionnelle ». L’auteur, en effet, préfère cette expression à celle de « Maçonnerie régulière » qui, dit-il, « hérisse » les Frères relevant d’Obédiences non reconnues extérieure­ment. Nous pensons qu’il a raison de faire une telle dis­tinction ; et peut-être serait-il encore préférable de trou­ver une autre expression, car il va sans dire que certaines Loges appartenant à des Obédiences sans relations exté­rieures peuvent fort bien témoigner d’un esprit tradition­nel authentique. — L’article (trop bref) de M. Baylot con­tient d’excellentes remarques sur les illusions que se font certains ateliers quant à la portée de tout travail maçon­nique qui ne serait pas exclusivement basé sur la science du symbolisme. Il écrit : « Une réunion d’hommes qui, dans le concert de la pensée la plus élevée, avec des res­sources d’érudition, de courage, de vertu, s’essaye à appro­fondir avec un désintéressement total les problèmes du temps n’a rien à voir avec la Franc-Maçonnerie. La nobles­se de ses desseins, la qualité de ses efforts n’est pas en question. Il ne suffit pas que, dans la meilleure hypothèse, elle agrémente d’« un quart d’heure de symbolisme » l’es­sentiel de sa réunion ». En effet, un quart d’heure de symbolisme par mois ou même par quinzaine est tout à fait insuffisant pour « réaliser les objectifs de la Maçon­nerie ». Ces objectifs, M. Jean Baylot le rappelle, consis­tent dans « la transposition de l’art de bâtir le Temple à l’art de bâtir une vie humaine tenue, suivant le grand principe hermétique, pour répéter le Cosmos ». C’est, selon une expression de Guénon, « l’unification du microcosme avec le Macrocosme ».

— Cet article de M. Jean Baylot, exprimant des idées trop rarement formulées dans les « planches » maçonni­ques, n’a pas eu l’heur de plaire au directeur d’un organe rationaliste, militant de la libre-pensée, qui a envoyé aux Lettres Mensuelles une épître dont cette publication ne reproduit qu’une partie (n° 11, mars 1971). M. Baylot y répond plus brièvement encore. Quelques lignes suffisaient en effet pour rappeler que les questions initiatiques ne peu­vent être abordées que sur un terrain auquel n’ont pas accès les héritiers de Sébastien Faure et de Lorulot. Ces derniers, en revanche, ont parfaitement le droit de consi­dérer comme des « troglodytes attardés » ceux qui se re­fusent à prendre les « postulats du rationalisme » pour des axiomes.

Denys ROMAN

Darkness visible partie 2

Article publié dans la revue franco-italienne ” La Lettre G” : Équinoxe d’Automne 2007. N°7

Darkness visible [Deuxième partie]

L’introduction de la formule darkness visible dans le rituel maçonnique anglais de style Emulation apparaît à la suite de l’Union des Anciens et des Modernes de 1813 ; nous n’avons pas de certitudes sur les modalités de son adoption. La traduction littérale « ténèbres visibles » (et non « obscurité visible » comme il est dit parfois) révèle une association de sens contradictoires propres à retenir l’attention, et divers auteurs devaient en effet s’y intéresser, la plupart dans un esprit antimaçonnique et en se plaçant d’un point de vue exotérique exclusif1. En fait, l’expression darkness visible ne peut être vraiment explicitée et comprise – dans les limites de la faculté discursive – qu’en tant qu’elle est étroitement liée à la signification de la séquence rituelle correspondant à ce que les Kabbalistes désignent par le déplacement des lumières, elle-même abandonnée en partie dans la pratique maçonnique d’aujourd’hui (voir infra). Cette séquence ne trouve sa raison d’être et ne révèle sa véritable signification qu’en fonction de la perspective particulière à la Maîtrise qui s’effectue rituellement par un changement formel d’orientation, ce changement correspondant à une interversion dans le sens d’un retournement. D’ailleurs, l’orientation particulière à ce degré, est toujours usitée des Maîtres Maçons dans certains de ses éléments significatifs2. Ainsi, le déplacement des lumières s’accompagne, dans sa mise en œuvre, de l’intégration visible des décors symboliques d’ordre cosmologique qui assurent l’ordonnancement régulier de la Loge. Mais intégrer n’est pas uniformiser systématiquement dans une même perspective d’ensemble ; c’est pourquoi, pour prendre quelques exemples précis, on notera que le Tableau de Loge est occulté ainsi que les deux luminaires que sont le soleil et la lune3 situés au Débir (à l’Orient), équivalent symbolique du Saint des Saints du Temple de Salomon ; les deux luminaires demeurent indissociables car complémentaires : symboles de la dualité, ils s’évanouissent, n’étant plus en conformité avec la nouvelle orientation régulière de la Chambre du Milieu qui exprime l’Unité Primordiale. Cependant, un symbole subsiste, lumineux, à sa station initiale : c’est « l’œil dans le triangle » ou « l’œil qui voit tout », dénommé ordinairement Delta ; mais sa position se trouve dès lors inversée, c’est-à-dire pointe en bas, figurant le schéma du cœur. Ainsi disposé, il est dorénavant la « Porte Solaire », analogue à l’œil du dôme de tout édifice sacré. On se souviendra que, maçonniquement, cette Porte, selon l’enseignement traditionnel dont R. Guénon a été, à notre époque, l’interprète pour l’Occident, n’est autre que l’équivalent de la « porte du Ciel » ou « porte des dieux » ; elle est l’ouverture sur le « Soleil intelligible » dont le « septième rayon » – l’Axis mundi – assure le passage qui conduit « au-delà du Soleil », domaine des états supra-individuels propre aux grands mystères, ce « passage [qui] assure la libération complète »4  ».] des limitations individuelles inhérentes à la manifestation.

Ainsi, pour le Connaissant, le Soleil, « une fois élevé au Zénith, ne se lèvera plus ni ne se couchera, il se tiendra au centre » (Chândogya Upanishad, III, 11, 1 et 3).

Comme possibilité opérative immédiate, c’est-à-dire affranchie de la temporalité, cette interversion permet – ne serait-ce que virtuellement – au Maître Maçon d’ « identifier le centre de sa propre individualité (représenté par le cœur dans le symbolisme traditionnel) [ce qui correspond à une libération du mental] avec le centre cosmique de l’état d’existence auquel appartient cette individualité et qu’il va prendre comme base pour s’élever aux états supérieurs » (L’Esotérisme de Dante, ch. VIII). C’est ainsi que le Travail collectif en Loge permet la restauration de l’état originel par la translation « du centre de la conscience du “cerveau” au “cœur” ». C’est en quelque sorte une autre « vision » (de la Lumière intelligible), que l’on peut rapporter à une « audition » et qui prend appui sur la disposition symbolique ainsi établie et s’y identifie en application de l’analogie inverse5. Reportons-nous à ce que R. Guénon précise à ce sujet : « Tant que la connaissance n’est que par le mental, elle n’est qu’une simple connaissance “par reflet”, comme celle des ombres que voient les prisonniers de la caverne symbolique de Platon, donc une connaissance indirecte et tout extérieure ; passer de l’ombre à la réalité, saisie directement en elle-même, c’est proprement passer de l’”extérieur” à l’”intérieur”, et aussi, au point de vue où nous nous plaçons plus particulièrement ici, de l’initiation virtuelle à l’initiation effective. Ce passage implique la renonciation au mental, c’est-à-dire à toute faculté discursive qui est désormais devenue impuissante, puisqu’elle ne saurait franchir les limites qui lui sont imposées par sa nature même ; l’intuition intellectuelle seule est au delà de ces limites, parce qu’elle n’appartient pas à l’ordre des facultés individuelles. On peut, en employant le symbolisme traditionnel fondé sur les correspondances organiques, dire que le centre de la conscience doit être transféré du “cerveau” au “cœur” ; pour ce transfert, toute “spéculation” et toute dialectique ne sauraient évidemment plus être d’aucun usage ; et c’est à partir de là seulement qu’il est possible de parler véritablement d’initiation effective […]. Le passage de l’”extérieur” à l’”intérieur”, c’est aussi le passage de la multiplicité à l’unité, de la circonférence au centre, au point unique d’où il est possible à l’être humain, restauré dans les prérogatives de l'”état primordial”, de s’élever aux états supérieurs […] »6. C’est seulement ainsi que la Maîtrise atteint sa plénitude.

L’ « audition » évoquée est en rapport étroit avec la « Lumière intelligible » ; selon la perspective cosmogonique, le Son précède en quelque sorte la Lumière, et nous verrons que ce point de doctrine n’est pas étranger à notre sujet. Par exemple, l’audition est partie intégrante des éléments symboliques fondamentaux du degré de l’Arche Royale considéré par les anciens – et encore aujourd’hui – comme « la racine, le cœur et la moelle de la Franc-Maçonnerie » en tant que complément de la Maîtrise ; il est le  nec plus ultra  en raison de son caractère universel, de sa perspective ouverte sur les grands mystères, mais également de ses liens avec la Maçonnerie opérative ; mais nous ne pouvons présentement qu’en mentionner l’importance et signaler seulement un point qui est loin d’être négligeable, en correspondance avec nos rituels : il s’agit du rapport entre l’ouïe et la vue qui sont respectivement mises en relation avec la nuit et le jour ; car on connaît « […] l’étroite connexion qui existe, au point de vue cosmogonique, entre le son et la lumière ». Pour les chrétiens et les Maçons, le texte le plus explicite à ce sujet se situe au début du Prologue de l’Evangile de saint Jean qui précise : « Au commencement [au principe] était le Verbe… » ; il s’agit là de « l’acte du Verbe produisant l’”illumination” qui est à l’origine de toute manifestation, et qui se retrouve analogiquement au point de départ du processus initiatique  »7. C’est pourquoi -en particulier dans le domaine initiatique- on accorde prééminence et antériorité à l’ouïe sur la vue et de ce fait à la nuit sur le jour. C’est donc par pure analogie que nous utilisons le terme de « vision » en rapport avec la séquence rituelle du déplacement des lumières, car là réside un des mystères de l’Ordre.

Pour illustrer, dans une certaine mesure, ce rapport étroit entre l’ouïe et la vue et les incidences résultant de leur mise en œuvre, relevons quelques applications souvent négligées parce qu’en apparence banales : elles proviennent de manuscrits de la Maçonnerie des XVIIe et XVIIIe siècles, et plus précisément de leur partie dénommée Lectures ou Instructions qui furent originellement des « tuilages » de caractère synthétique à partir d’éléments rituels ; elles se pratiquent par questions et réponses dans lesquelles se trouvent certaines formules qui sont comme l’écho d’une pratique opérative ; une de celles-ci se situe curieusement entre la question concernant la « naissance virginale » du Christ et celle qui a trait à la construction du Temple de Salomon :

« Question : A quoi la nuit est-elle bonne ?

Réponse : La nuit est meilleure pour entendre que pour voir »8. A ce propos, il n’est pas sans intérêt de noter les formules et la gestuelle adoptées par les Maçons de cette époque pour prévenir l’indiscrétion d’un profane (donc l’intrusion d’un point de vue étranger à la démarche initiatique) : cela consistait par exemple à exécuter un « faux pas » (celui-ci étant une figuration irrégulière de la marche ordonnée du Maçon en direction de l’Orient de la Loge) en prononçant à voix basse : « le jour est fait pour voir [sous-entendu: les signes] et la nuit pour entendre [les mots] » ; ces formules sont aussi, comme nous le précisions plus haut, en rapport avec l’épreuve du « tuilage » pratiquée habituellement par le Tuileur à l’entrée extérieure du Temple qui abrite la Loge, comme l’est également la formule bien connue : « il pleut [sur le Temple] ».

*   *   *

Ainsi l’expression darkness visible correspond-elle, dans la perspective spécifique aux petits mystères, aux « ténèbres perçues », réflexion de la Lumière procédant des « ténèbres supérieures » dont l’accès s’effectuera par le septième rayon du Soleil matérialisé au centre. R. Guénon nous dit que, en tant que symbole du non-manifesté, ces ténèbres « sont en réalité la Lumière qui surpasse toute lumière, [qui est] au-delà de toute manifestation et de toute contingence, l’aspect principiel de la lumière elle-même […] » ; ce reflet de la Lumière que, seul, de par son état, le Maître achevé a qualité pour appréhender dans la Chambre du Milieu. Suivant l’expression maçonnique – équivalente de la formule hermétique se rapportant à la phase nommée « séparation » –, le Maître Maçon doit œuvrer selon le processus ultime du discernement qu’est la discrimination, c’est-à-dire « déceler la lumière dans les ténèbres et les ténèbres dans la lumière ». Est-il nécessaire de préciser que nous sommes très éloignés de la perspective exclusive que retient Milton dans son poème Paradise lost, et qui se rapporte uniquement aux ténèbres entendues dans leur sens le plus inférieur, c’est-à-dire en tant qu’états psychiques qui se manifestent par une « chaleur obscure » (antithèse des ténèbres visibles) et sont relatives aux « lieux » infernaux que Dante évoque dans son Enfer.

En corrélation avec le passage rituel qui est l’objet de ces quelques réflexions, on retiendra également l’usage, en Maçonnerie, de la couleur noire dans son sens supérieur, c’est-à-dire métaphysique, qui correspond aux ténèbres visibles9. Cela concerne notamment la Chambre du Milieu qui est l’expression formelle de cette couleur ; c’est là, pour le Maître, qu’a lieu la deuxième mort qui correspond à une troisième naissance analogue à une « résurrection », véritable changement d’état qui ne peut s’accomplir que dans l’obscurité10.

Ajoutons que la station initiatique qu’est la Maîtrise maçonnique dans la démarche spécifique au Métier a également sa correspondance, en mode constructif, avec le symbole de la Pierre, la Keystone ; c’est la pierre angulaire ou clef de voûte (ou son équivalent) qui, dans tout édifice sacré, a une position inversée par rapport à l’ensemble de la construction ; c’est pourquoi cette pierre, qui en constitue le couronnement, ne peut être mise en place que par en-haut, comme provenant spontanément du Ciel11. En effet, en l’absence de la clef de voûte et malgré l’ajustement conforme des pierres et leur assemblage jusqu’à la limite du sommet, l’édifice qui en résulte ne sera jamais, malgré la convergence de tout l’ensemble vers ce point (c’est le « nœud vital »), qu’un ouvrage imparfait et dénué de stabilité, même si une certaine harmonie s’en dégage nécessairement : il est en quelque sorte le reflet du cosmos non encore résorbé dans son Principe. Mais, par la mise en place de la clef de voûte, se réalise, dans l’instantanéité, l’intégration de la multiplicité dans l’Unité, et ainsi l’ensemble de la construction se trouvera relié et identifié -hors de la modalité temporelle- à son archétype principiel ; c’est un « passage à la limite », un changement d’état. Seule la clef de voûte, « par sa forme aussi bien que sa position, est effectivement unique dans l’édifice tout entier, comme elle doit l’être pour symboliser le principe dont tout dépend »12 ; elle est la synthèse de l’édifice, image parfaite et véritable de l’Unité dont la manifestation procède.

C’est pourquoi le Maître Maçon, qui s’identifie lui-même virtuellement à la Keystone (en raison de l’analogie constitutive du microcosme et du macrocosme), doit intégrer, autant qu’il est possible -et pas uniquement en Chambre du Milieu-, cette « vision très excellente » qui s’origine dans son Principe, réalisant ainsi la synthèse parfaite des trois Piliers de la Loge. En outre, on constate que les éléments rituels de la Maîtrise que nous venons d’évoquer, et qui procèdent de ce symbolisme et en permettent la mise en œuvre conforme, révèlent nettement la finalité initiatique de l’Ordre maçonnique13. Ce « constat symbolique » infirme donc toutes les hypothèses qui reposent sur une conception historiciste exclusive visant à démontrer que le grade de Maître et sa légende – la légende d’Hiram – ou leur équivalent respectif, ne seraient qu’une élaboration humaine tardive. Il est inconcevable que la Maçonnerie ait pu être privée de cette « station » privilégiée (ou de son équivalent), car elle aurait été ainsi bornée à une voie initiatiquement incomplète, ce qui serait inexplicable. Une approche plus correcte sur ce sujet demanderait un examen attentif et sans parti pris, du degré de « Compagnon fini », antérieur à la Maçonnerie spéculative, et une comparaison de certaines de ses particularités avec le « couple » Compagnon/Maître tel qu’il a été codifié ensuite. Ce qui est sûr c’est que la Maîtrise proprement dite a fait défaut à certains fondateurs de la Maçonnerie spéculative. Mais cela est-il un débat ?].

Mais darkness visible évoque également l’origine « polaire » de l’Ordre, le retour à cette origine étant symbolisé, comme nous l’avons dit, par l’inversion d’orientation -et ses compléments-, matérialisée, dans la Chambre du Milieu, par le déplacement des lumières. D’autre part, cette situation primordiale est l’objet d’une « réminiscence » précise, symbolisée par la lettre G -symbole de la Polaire- placée au centre de l’Etoile flamboyante14. Et, à proximité de celle-ci, sont figurées les sept étoiles qui marquent la présence des 7 Rishis dont la demeure symbolique est la Grande Ourse. Selon la tradition hindoue, ceux-ci sont les sept Lumières par lesquelles fut transmise au cycle actuel la Sagesse des cycles antérieurs, ces Lumières qui portent l’héritage de Sagesse de ces cycles et en détiennent en quelque sorte la « mémoire ». Ceci explique pourquoi, par transposition, sont placées sept étoiles autour de la Lune sur le Tableau de Loge présent aux autres degrés « bleus ». En ce qui concerne, entre autres choses d’importance, la constitution de la Loge considérée comme étant « juste et parfaite » ainsi que la validité de la transmission initiatique, il apparaît que les 7 Rishis -en tant qu’Archétype primordial- président à l’Architecture céleste qui est Géométrie. Ils sont ainsi la norme qui se « réfléchit » sur la Terre, déployant son ordonnancement de Sagesse, Force et Beauté, qui rend possible et légitime l’établissement (et la restauration) de multiples applications initiatiques en conformité avec le plan du Grand Architecte de L’Univers15.

Darkness visible est une des nombreuses formules rituelles que véhiculent la Chambre du Milieu et ses mystères. « Lieu » central de la Maçonnerie, l’excellence de la Chambre du Milieu ne peut être appréhendée que par le « lien qui nous unit » (le Cable tow assimilable au Sûtratma), lien qui unit tous les Maçons –passés16et présents- à l’Ordre, et qui n’est autre que le Secret : c’est-à-dire « ce qu’il y a de plus central en tout être […] en raison de [son] caractère d’”incommunicabilité” ».

C’est pourquoi la possession de la Maîtrise est en réalité un état éminent et unique dans l’initiation occidentale d’aujourd’hui, état dont R. Guénon nous dit qu’il correspond à la véritable plénitude17.

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Ces quelques réflexions sur un sujet qui touche à une séquence négligée -parmi d’autres- de la démarche initiatique maçonnique ne prétendent pas en épuiser la richesse ou lever quelque voile impénétrable, d’autant plus qu’en son aspect le plus profond elle rejoint l’inexprimable lié par le Secret. Il reste à souhaiter que les quelques points abordés soient l’occasion et le point de départ de réflexions constructives sur les possibilités « sans nombre » qu’offre l’Ordre maçonnique ; mais il est vrai que seule la méditation sur les symboles peut favoriser l’ouverture sur la Connaissance.

La Maçonnerie est, comme l’évoque toute l’œuvre de l’auteur français Denys Roman, l’Arche vivante des symboles où s’est rassemblé l’essentiel -sous forme de synthèses symboliques- de ce qui subsiste d’organisations initiatiques éteintes, y compris un héritage de l’ésotérisme chrétien. Tous ceux qui s’efforcent, depuis les temps les plus éloignés, d’en obscurcir la Lumière le font en vain, car ils se heurtent à son origine non humaine ainsi qu’à l’assurance donnée, de par la Volonté du Ciel, à saint Jean l’Evangéliste, Ami, Recteur et Protecteur de l’Ordre, de la perpétuité de son domaine. C’est pourquoi, à Pierre qui l’interrogeait sur ce qu’allait devenir Jean, « fils du tonnerre », le Christ répondit : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe… »

André Bachelet

  1. Pour plus de développements, et particulièrement en ce qui concerne le Révérend Wilton Hannah, ministre anglican passé ensuite au catholicisme et auteur des livres Darkness visible publié en 1952 et Chritian by degrees (1954), on consultera les études de Pierre Noël dans la revue « Renaissance Traditionnelle » n° 137 de janvier 2004, pp. 66 et suivantes, et Jérôme Rousse-Lacordaire, B.A-BA Antimaçonnisme, Editions Pardès, pp. 57 et suivantes. Un ecclésiastique anglais (anonyme) répliquera au livre d’Hannah dans un ouvrage intitulé Light invisible (Lumière invisible), mais sans grande suite. Les attaques reprendront en 1965 puis en 1985 ; les ennemis de l’Ordre firent preuve à la fois de leur ignorance dans le domaine ésotérique et rituel (qui s’en étonnerait ?), et de leur habituelle faculté de nuisance ; devant le peu de résistance des responsables de la Maçonnerie britannique, ils dénoncèrent l’Ordre comme étant un véhicule du satanisme. Les protestations de Maçons vigilants ne devaient pas empêcher les conséquences dans le domaine rituel, sans compter les incidences temporelles à l’encontre des membres de la Maçonnerie de Grande Bretagne. On décèle dans toutes ces manœuvres l’obstination démentielle caractéristique des milieux instrumentalisés par l’Adv… Lorsque R. Guénon affirmait que « moins l’exotérisme s’occupe de l’ésotérisme, mieux cela vaut », n’avait-il pas tracé par là une attitude de prudence qui n’a pas toujours été respectée par les Autorités initiatiques ? Dans le rituel, le commentaire qui accompagne cette expression ne fait pas état de la signification que nous retiendrons. Voici le passage tiré de la version anglaise imprimée du rituel du 3e degré : « Let me now beg you to observe that the Light of a MM is darkness visible, serving only to express that gloom which rests on the prospect of futurity » ; et en regard relevons la traduction quelque peu différente retenue dans le rituel pratiqué en France : « Permettez-moi de vous faire observer que la lumière que possède un MM (Maître Maçon) n’est qu’une lueur qui ne pénètre qu’à peine les ténèbres et ne fait qu’ajouter à la pénombre qui cache les perspectives de la vie future ». Cette tirade n’est pas satisfaisante car le voile à soulever touche au plus profond de la démarche initiatique procédant de l’aboutissement des petits mystères. Dans ce cadre rituel, tout commentaire est dans l’incapacité d’en traduire la véritable portée, tout ajout verbal appuyé s’avère généralement vain ou susceptible de compromettre une assimilation conforme
  2. On remarquera que la progression singulière du Compagnon lors de son introduction en Chambre du Milieu s’explique par là même ; on peut trouver à cette progression plusieurs significations, dont une est en rapport avec le sacrifice intérieur exigé par l’imminente élévation du Compagnon à la Maîtrise : ce sacrifice consistera, entre autres, à transformer une des composantes de la modalité corporelle ou « existentielle » comprise dans l’objectif fixé par le degré de Compagnon ; en cas contraire, le nouveau Maître serait maintenu dans une démarche « horizontale », c’est-à-dire dépendante de la faculté mentale, ce qu’il doit désormais dépasser progressivement. Quant à l’héritage pythagoricien, compte tenu de sa position centrale dans le 2e degré, il constitue un acquis définitif.
  3. Il s’agit des « deux grands luminaires dont l’un préside au jour et l’autre à la nuit » (Genèse, I, 16).
  4. Pour l’application de l’analogie inverse en rapport avec notre sujet, consulter R. Guénon : Symboles fondamentaux de la Science sacrée (aujourd’hui Symboles de la Science sacrée), Éditions Gallimard 1962, chapitres « Les symboles de l’analogie » et « L’Arbre du Monde » ; également A. K. Coomaraswamy dans son étude « The Inverted Tree » (« L’Arbre inversé »).
  5. R. Guénon : Aperçus sur l’Initiation, Editions Traditionnelles, chapitre XXXII, « Les limites du mental ».
  6. Cf. ibidem, chapitre « Verbum, Lux et Vita ».
  7. L’Herne, Documents fondateurs, 1992, p. 219, note 243 (Manuscrit Dumfries n° 4).
  8. Symboles fondamentaux (Symboles de la Science sacrée), p. 308, note 1, et Initiation et Réalisation spirituelle, ch. XXXI, « Les deux nuits ».
  9. Aperçus sur l’Initiation, chapitre « De la mort initiatique », et Initiation et Réalisation spirituelle, chapitre « La jonction des extrêmes ».
  10. Ce symbolisme est essentiel au degré complémentaire qu’est l’Arche Royale qui participe de l’Arch masonry (Maçonnerie du Compas), et, de ce fait, se place en rapport avec le domaine céleste, alors que la Square masonry (qui est la Maçonnerie de l’Équerre) se développe plus spécialement dans ce qui appartient au domaine « terrestre » (cf. note suivante).
  11. Symboles fondamentaux de la Science sacrée (Symboles de la Science sacrée), ch. XLIII : « La “Pierre angulaire” », p. 281, et l’étude de Franco Peregrino, « Sur la fraternité », parue in « La Lettre G » n° 1, Équinoxe d’Automne 2004.
  12. La Maçonnerie comprend également, comme l’affirme R. Guénon, une perspective sur les « grands mystères » constituée par l’essence de l’Arch masonry ; c’est la raison pour laquelle le degré de l’Arche Royale était lié à celui de la Maîtrise et se trouvait intégré intimement à une Loge ordinaire et plus précisément à la Chambre du Milieu de celle-ci (cf. Aperçus sur l’Initiation, 1953, p. 276, note 1). Ce lien étroit (qui n’est pas sans évoquer le Cable Tow), véritable charnière entre la Chambre du Milieu et l’Arche Royale, apparaît notamment de façon significative dans l’opération de substitution des deux luminaires par le « septième rayon du Soleil » dans sa position centrale et invariable au zénith. Le symbolisme particulier (et sa représentation) de ce septième rayon constitue l’élément fondamental de l’Arche Royale désignée expressément comme complément de la Maîtrise, et ceci en rapport avec la « parole retrouvée ».
  13. Ceci peut être rapporté à la tradition pythagoricienne, véritablement centrale au grade de Compagnon, et en tant qu’héritage de la Maçonnerie
  14. Cf. Symboles fondamentaux de la Science sacrée (Symboles de la Science sacrée), ch. XXIV : « Le Sanglier et l’Ourse », p.180 note 2.
  15. C’est-à-dire les « Maçons des anciens jours », assimilables dans une certaine mesure aux « Ancêtres » qu’évoquent la plupart des traditions et qui assurent le lien spirituel ininterrompu avec l’origine ; c’est un héritage direct, par la voie initiatique, notamment celle des Collegia fabrorum de la tradition gréco-romaine. Il s’agit également des « Supérieurs Inconnus », détenteurs et inspirateurs de la Sagesse primordiale.
  16. Cf. Symboles fondamentaux de la Science sacrée (Symboles de la Science sacrée), ch. LXXV : « La Cité divine ». Rappelons simplement que le rassemblement ordonné -ne serait-il que virtuel- de tous les éléments de l’être, dans le cadre de l’initiation maçonnique, est une possibilité toujours actuelle.