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E.T. N° 416 novembre – décembre 1969- 1ère partie

La revue Ogam n’a guère de commun avec celle qui portait autrefois ce nom qu’un même intérêt pour les études celtiques. Elle fait place maintenant dans ses colonnes à l’histoire, à l’archéologie, à la numismatique des diverses populations appelées « Celtes », ainsi qu’à l’étude de leurs langues et de leurs religions. C’est une revue de haute tenue scientifique, très bien éditée et abondamment illustrée. Nous n’avons pas à rendre compte ici des articles purement archéologiques.

Dans le numéro de décembre 1966, nous avons surtout remarqué des « Notes d’Histoire des religions », par Mme Françoise Leroux. Elle y étudie en particulier un curieux symbole : le taureau à trois cornes. L’auteur y note qu’ « on commence à éprouver quelque méfiance envers le « naturisme » [c’est-à-dire l’interprétation des symboles par les forces de la nature] dont le règne a été quasi absolu pendant un siècle, mais on ne voit pas par quoi et comment le remplacer. On éprouve encore aussi, dit-elle, quelque appréhension à envisager la possibilité  de systèmes religieux antiques à haute spiritualité, bien qu’on ait aucune objection valable ».

Mme Le Roux rappelle qu’on trouve également chez les celtes des représentations du sanglier à trois cornes. Le taureau, dit-elle, représente le guerrier, et le sanglier est un symbole à la fois de sagesse et de force. Il serait intéressant de savoir si l’aspect « sagesse » l’emporte chez le sanglier, car le taureau serait alors l’équivalent de l’ours (bien qu’évidemment l’ours soit plus précisément « hyperboréen » et le taureau européen). D’autre part, n’y aurait-il pas quelque rapport entre le symbolisme des trois cornes et celui des trois yeux ?

Tout ce compte rendu est empreint d’un esprit nettement traditionnel, qu’on ne trouve pas souvent chez ceux qui traitent de l’histoire des religions et autres sujets similaires. L’auteur est entièrement affranchi des préjugés qui ont cours dans les milieux qui se sont fait un quasi-monopole de certaines études. On peut en juger par le passage suivant : « il n’y a jamais eu de zoolâtrie celtique. Le zoomorphisme lui-même, que l’on prend trop souvent au pied de la lettre pour un aspect du culte, n’est qu’une suite d’images symboliques. Les animaux celtiques ne sont pas des dieux, mais comme en Egypte, en Grèce, dans l’Inde, des symboles qui aident à comprendre des aspects des dieux. C’est très différent ». L’auteur critique très sévèrement – elle en a le droit – les multiples incompréhensions et les lieux communs qu’on répète par habitude et paresse d’esprit. En voici un exemple à propos des déesses-mères : « Un autre défaut que nous avons maintes fois signalé est la fragmentation : on voit autant de divinités qu’il y a de noms divins comme les matres gallo-romaines sont nombreuses, le total est impressionnant et le résultat catastrophique ».

Dans le n° de mars 1967, nous trouvons des notes du même auteur sur la roue cosmique et les prétendues « déesses-mères ». Nous signalerons surtout les remarques très pertinentes sur le symbolisme du « pont de l’épée », à propos d’un article sur le thème de Chrétien de Troyes : Lancelot du Lac se blesse grièvement en passant sur un pont pour aller retrouver la reine Guenièvre enfermée dans une tour. Mme Françoise Le Roux n’a pas de peine à relever les erreurs d’interprétation auxquelles cette « légende » donne lieu : « le mythe se situe au niveau d’une explication supra-rationnelle qui n’est plus à la portée du premier venu, et le commun des mortels a besoin d’un commentaire, ce qu’on ne trouve plus guère actuellement dans les travaux d’histoire des religions ». Mme Le Roux renvoie alors à l’article de Guénon sur le symbolisme du pont, reproduit dans les Symboles fondamentaux de la Science sacrée, et conclut : « Chrétien de Troyes ne comprenait peut-être plus (et encore qu’en savons nous ?), mais il a transmis exactement le symbolisme du pont. Compte tenu du contexte de son œuvre, que pourrions-nous lui demander de mieux en l’occurrence ? ».

Le n° de juin 1967 est occupé pour la moitié de son contenu par le tome I du très important travail de Mme Le Roux intitulé : Introduction générale à l’étude de la tradition celtique. Pour la première fois ce sujet si difficile et si mal connu est traité par un écrivain dont la compétence est indiscutable et dont la compréhension n’est bornée par aucune des limitations trop habituelles, hélas ! aux « historiens des religions ». ­– et cela parce que l’érudition de l’auteur s’appuie constamment sur les principes traditionnels. Le tome I traite notamment des dieux, de la théocratie, des deux castes supérieures, de la femme dans la tradition celtique, de l’Apollon hyperboréen, de la « métempsychose »  de Taliésin et d’une foule d’autres sujets. Mais ce premier tome a été tiré à part, et il est trop important pour ne pas faire l’objet d’une recension particulière dans la chronique des livres.

Dans le n° de décembre 1967, nous noterons un article de M. Gabriel Manière à propos de la découverte, dans le pays de Comminges, de sculptures gallo-romaines représentant des Gorgones. Il s’agit de sculptures à usage funéraire, dont on connait d’autres exemples. Cela ne serait-il pas à rapprocher du Kâla-Mukha ? On peut aussi se demander si, dans la tradition égyptienne, certaines représentations du sphinx n’auraient pas jouer un rôle analogue. Le sphinx en lui-même n’a rien d’effrayant ni même de redoutable dans son aspect, mais il semble bien que le grand Sphinx de Gizeh ai joué le rôle de « gardien du seuil » à l’égard de la grande Pyramide, que les Arabes d’aujourd’hui considèrent comme le « tombeau d’Hermès ». Le nom qu’ils donnent au Sphinx, Abul-Hawl (Père de la Terreur) semble confirmer cette interprétation, que nous proposons ici sous notre propre responsabilité, mais qui n’est pas mentionnée dans l’article de M. Manière.

Dans le même numéro, notons un article de M.J. Guyonvarc’h sur les noms de l’âme et de l’esprit dans les langues apparentées au vieux-breton. Nous en retenons qu’un « examen des noms de l’âme et du souffle montre que le celtique devait, avant la conversion au christianisme et l’introduction de la terminologie chrétienne, faire une distinction nette entre les concepts représentés respectivement par le latin animus et anima ».

Mme Françoise Le Roux, dans ses « Notes », commence par rappeler les « très nombreuses erreurs » commises à tout propos en matière d’histoire des religions celtiques. Elle étudie ensuite l’« œuf de serpent », dont Pline l’Ancien a fait une description très curieuse, incompréhensible et même aberrante si on veut la prendre à la lettre. On a émis des critiques parfois « virulentes » contre la traduction et l’interprétation que Mme Le Roux a données de ce texte. Mais elle justifie sa manière de voir par un raisonnement qui nous paraît très juste. Citons-en quelques passages qui ont une portée très générale : « Nous nous demandons quels arguments on peut présenter pour ou contre un symbole en tant que tel. Un symbole se comprend ou ne se comprend pas : on ne peut rien en dire quand on en possède pas l’interprétation orthodoxe ».

Dans le numéro de janvier-mai 1969, Mme Le Roux écrit : « Ce qui fait la difficulté de l’étude de la Religion celtique n’est pas tant le manque de documents que l’incompréhension permanente qui s’attache à ceux qui existent ». L’auteur rappelle notamment : « Disons-le tout net : la religion, comme la langue, comme tout organisme naturel ou toute émanation traditionnelle, est une structure et non pas une suite inorganique d’éléments disparates ou composites réductibles à l’infini. Et quand nous disons structure, nous ne disons pas système : car un système peut être artificiel, arbitraire, alors qu’une structure est indépendante de la volonté humaine. C’est là justement l’essence profonde et en même temps l’aspect le plus saillant du « fait » traditionnel. En quelque sorte, la religion est l’aspect « fini », accessible à l’entendement et à la perception commune, de la tradition et par complémentarité inverse, la tradition est « l’infini », inaccessible à la compréhension humaine courante, ̶  dans lequel baigne le fait religieux ». Parmi un grand nombre de considérations des plus intéressantes, nous avons remarqué plus particulièrement ce qui a trait aux « Tuatha dé Danann », ce peuple « préhistorique » mystérieux qui en Irlande, avait vaincu les « Fomore » et qui fut lui-même supplanté par une autre race, celle de « Mileadh » ; les Tuatha se retirèrent alors, selon certains textes, dans l’ile d’Avallon (où les fées transporteront plus tard le roi Arthur),  ̶   et, selon d’autres textes, dans des palais souterrains où ils demeurent inaccessibles. Mme Le Roux rappelle que le mot thuat signifie « nord », et que les « Tuatha Dé Danann (tribus de la déesse Dana) étaient dans la tradition ancienne, d’origine nordique », elle mentionne également l’équivalence du mot irlandais « Tuatha » avec le mot gaulois « Toutatis » surnom de Jupiter : ce dernier nom est plus connu dans le langage courant des historiens sous la forme « Teutatès ». En terminant ses notes, l’auteur rappelle la correspondance entre les points cardinaux et les notions de « gauche » et de « droite » ; « Malgré certaines apparences, la tradition celtique est donc en parfait accord avec la tradition primordiale qui fait venir la lumière de l’est et la nuit de l’ouest ».

Précisément, dans le numéro suivant (décembre 1968), Mme Le Roux revient sur la question du peuplement « mythique » de l’Irlande, et publie un long article intitulé : « La Mythologie irlandaise du Livre des Conquêtes ». Le livre en question est « une vaste compilation médiévale recopiant la Vulgate (c’est-à-dire la version latine de la Bible) pendant d’innombrables pages, mais qui, tout en prétendant faire coïncider les origines irlandaises et bibliques n’a pas suffisamment altéré ou remanié le fond mythologique pour le rendre méconnaissable ». (Remarquons en passant que ceux qui rédigèrent la dite compilation avaient sans doute une conscience plus ou moins claire de l’équivalence des traditions celtique et hébraïque, et considéraient que, sous le symbolisme d’évènements différents, l’histoire irlandaise et l’histoire juive exprimaient tout les deux les mêmes « archétypes » éternels). D’après le Livre des Conquêtes, l’Irlande n’aurait pas connu moins de huit invasions successives. Nous nous demandons si l’on ne pourrait pas faire un parallèle entre ce livre et un autre document qui, lui, n’est pas irlandais, mais islandais : le « Livre de prise de la terre » (Land-Nâma-Bôk), dont Guénon a parlé (cf. Etudes sur l’Hindouisme, p. 131). Dans l’un et l’autre cas, en effet, il est question d’une prise de possession d’une terre, ce qui symbolise la prise de possession d’un monde, c’est-à-dire d’un état d’être. La seule différence, c’est que les Vikings s’établirent dans une Islande vide d’habitants, tandis que les conquérants successifs de l’Irlande durent recourir à la guerre pour assurer leur domination. Mais les uns et les autres, obéissaient en somme au premier commandement donné au couple Adam-Eve : « Croissez et multipliez, remplissez la terre et soumettez-là à votre domination ».

E.T. N° 304, Décembre 1952

LES REVUES

Dans le N° 12 (février), de la revue Ogam M. Géreint donne quelques indications sur le symbolisme d’un des oiseaux sacrés des Celtes : le roitelet

Dans le N° 13 (mars), début d’un article sur le géant Gargantua. Nous y apprenons que la forteresse d’Avaricum (Bourges) est dite avoir été construite par Gargantua à l’endroit précis où tomba un marteau qu’il avait lancé dans les airs ; pour commémorer cet évènement, la population de la capitale des Bituriges célébrait une fois par an une “beuverie rituelle”. Gargantua est habituellement représenté avec un gourdin et une hotte. Ses légendes sont localisées sur le trajet d’anciennes voies romaines et pré-romaines. “Il boit aux gués des rivières et construit des ponts”, et parfois même fait apparaitre l’arc-en-ciel.  Continuer la lecture

E.T. n° 299, avril-mai1952

LES REVUES

Dans le N° de mai de Masonic light nous mentionnerons un court article, consacré à une question des plus importantes : l’emploi de la langue hébraïque dans les mots sacrés et les mots de passe de la Maçonnerie. Cet article met bien en lumière l’impossibilité de traduire rigoureusement les termes d’une langue sacrée. L’auteur choisit comme exemples les deux mots Sholom et Z’dokoh, qu’on rend habituellement par “paix ” et “charité “. Or le premier ne signifie pas seulement absence de guerre, mais encore intégrité, perfection, santé du corps et de l’âme, harmonie, prospérité ; et Z’dokoh ne signifie pas seulement charité mais avant tout justice, et en conséquence les règles talmudiques considèrent la charité non pas comme une œuvre “surérogatoire “, mais bien comme une œuvre de stricte équité, les biens que tout homme possède ne lui appartenant pas en propre, mais étant un simple dépôt que Dieu lui a confié.

Le N° de la mi-été reproduit quelques extraits glanés dans une publication antimaçonnique qui vient de voir le jour au Canada. Ces extraits donnent, sur l’organisation de la Maçonnerie internationale, des renseignements tellement sensationnels que nous ne résistons pas au désir d’en faire profiter nos lecteurs. “La Maçonnerie ne compte pas 33 degrés, mais bien 34 ; beaucoup de Maçons n’en savent rien, le fait étant tenu strictement secret, même à l’égard des titulaires du 33e degré. Ce 34e degré est constitué par les membres de l’Ordre des Bnai Brith, Ordre qui compte 50 membres, dont 30 sont juifs… Chacune des grandes dénominations du Protestantisme et de l’Eglise orthodoxe, aussi bien que de l’Islam, a sa propre Maçonnerie pour la diriger ; ainsi l’Eglise anglicane est dominée par les Olds-Fellows  ; les méthodistes et les presbytériens sont dominés par l’Ordre des Orangistes ; la Maçonnerie grecque est dominée par les “Chevaliers de Pythias ” ; la Maçonnerie arabo-persane est dominée par le Mystic Shrine ; la Maçonnerie égyptienne est dominée par le Karnac Temple. La Maçonnerie contrôle également les compagnies d’assurances par l’intermédiaire de l’ “Ordre Indépendant des Forestiers “. Elle influe sur la politique mondiale au moyen d’un Suprême Conseil que dirige un Président assisté de 4 ministères. Ce Suprême Conseil a pour emblème un serpent mystique. Le président est juif. Les 4 ministères sont : le ministère de la haine dirigé par un rabbin ; le ministère de la Religion, chargé des cérémonies sacrilèges du culte maçonnique, y compris les meurtres rituels, l’adoration de Baal et le spiritualisme avancé (sic) ; le ministère de la Fausseté aux ordres de l’Intelligence Service, cette dernière organisation étant comme chacun le sait, commandée par le président du Sanhédrin israélite. Le quatrième ministère est celui de l’Erreur, auquel préside le Grand Prêtre des Juifs (resic). Ce dernier ministère est chargé de répandre des mensonges parmi les membres de toutes les Eglises, dans le but de favoriser le judaïsme. Il y a aussi une sorte de sous-secrétariat d’Etat à l’Avarice, dont le titulaire est un des barons de la finance juive. Une telle organisation nécessite des fonds importants. Ils sont fournis par la contrebande en matière de soieries, de bijouterie, d’alcools, de stupéfiants, et aussi par d’autres ressources, telles que la traite des blanches, les banqueroutes frauduleuses et le pillage des maisons incendiées. Une active propagande en faveur de la Maçonnerie s’exerce au moyen de la littérature pornographique, anarchiste et nihiliste, et aussi par les “cercles fraternels ” tels que le Rotary “.

Il paraît que la feuille qui rapporte ces détails surprenants se flatte de compter parmi ses abonnés plusieurs prêtres et un évêque. Masonic light s’en attriste. Mais pourquoi les ecclésiastiques n’auraient-ils pas le droit de se divertir à la lecture de ces folies ? Pour ce qui est des lecteurs ordinaires, il est bien évident que le progrès des lumières les rend aptes à tout accepter. Et les contes bleus que nous avons rapportés sont tout de même plus vraisemblables que les histoires qui avaient cours en France au début du siècle sur le diable Bitru, grand visiteur de Loges, et certain crocodile, joueur de piano. Et quelques années seulement nous séparent de la publication de L’élue du Dragon, où tous détails étaient donnés (avec plans à l’appui) sur les pratiques des ” arrière-loges “, pratiques sur lesquelles nous nous garderons d’insister, parce qu’elles relèvent de la police des mœurs. Il est par ailleurs bien évident que l’Eglise catholique ne saurait être rendue solidaire des mensonges (beaucoup moins inoffensifs qu’on pourrait être tenté de le croire) des anti-maçons ; la vérité, c’est que ces derniers s’efforcent de compromettre certaines personnalités religieuses dans leurs campagne ridicule…et qu’ils y réussissent quelquefois. Du reste, même au Canada de langue française qui semble être aujourd’hui le dernier refuge de l’antimaçonnisme militant, il n’est pas rare que des relations courtoises existent entre la Maçonnerie et des organisations strictement catholiques. Masonic light donne sur ce point des indications qui surprendraient certainement beaucoup de Français.

Dans le N° de septembre, nous trouvons quelques notes sur la carrière maçonnique de Daniel O’Connel, le “Libérateur irlandais “, qui, non seulement sut rendre une âme à sa patrie opprimée, mais encore fut le véritable artisan de l’ “acte d’émancipation ” de 1829, par lequel tous les catholiques du Royaume Uni reçurent la plénitude des droits civils et politiques, appartenait en effet à la Franc-Maçonnerie. Il joua d’ailleurs un rôle maçonnique actif : initié en 1799 à la Loge N°189 de Dublin, il en devint le Président l’année suivante. Il fut membre fondateur d’une Loge de Tralee et affilié d’une Loge de Limerick. Mais en 1838, ayant eu connaissance des condamnations pontificales portées contre l’Ordre, il se retira volontairement de la Maçonnerie, à laquelle il avait appartenu presque 40 ans.

Dans le même N°, est annoncée l’élection, comme Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre, du comte de Scarbrough, ancien Grand Maître de la Grande Loge de District de Bombay.

Dans le Symbolisme de juin 1951, nous signalerons un bel “hommage à René Guénon “, par M.G. de Saint Jean.

Viennent ensuite trois études sur les rapports du Rosicrucianisme et de la Maçonnerie, signées respectivement de MM. Lepage, Bernard E. Jones (étude extraite du Freemason’s Guide and compendium) et G.H. Luquet. Dans cette dernière étude, qui est de beaucoup la plus longue, M. Luquet analyse les divers textes sur lesquels on a tenté de s’appuyer pour prouver que les Rosicruciens ont joué un rôle lors du passage de la Maçonnerie opérative à la Maçonnerie spéculative. Ce sont divers poèmes, opuscules, lettres et articles de journaux, qui s’échelonnent de 1638 à 1730. S’il semble bien, comme le dit M. Luquet, que chacun de ces écrits pris à part ne prouve pas grand-chose, il est tout de même étrange de voir, dans six des neuf textes analysés, le nom des Franc-maçons rapproché de celui des Rose-Croix et, dans un septième texte, de celui des Kabbalistes. Ce faisceau de coïncidences est digne d’examen, si l’on songe à l’habitude des rosicruciens de procéder par allusions, d’attirer l’attention pour la détourner ensuite, de jeter eux-mêmes le discrédit sur leurs propres ouvrages. Le huitième des neufs textes étudiés, que M. Luquet analyse longuement, est intitulé Long Livers (ce qu’on pourrait traduire par : “Ceux qui sont doués de longévité”), publié à Londres en 1723, sous le nom d’Eugenius Philalethes junior. C’est la traduction d’un traité hermétique d’Arnaud de Villeneuve, traduction dédiée “aux Grands-Maître, Maîtres, Surveillants et Frères de la très ancienne et très honorable Fraternité des Francs-Maçons de Grande Bretagne et d’Irlande”. Sur l’identité de l’auteur de cet ouvrage, du reste fort intéressant, voici ce que nous dit M. Luquet : “En s’appelent Eugenius Philalethes le jeune, il a tout l’air de vouloir se placer sous le patronage d’un Eugenius Philalethes plus ancien. En fait, des livres imprimés de 1650 à 1657 étaient signés Eugenius Philalethes. Son vrai nom fut Thomas Vaughan. Mais la question se complique. Des ouvrages du même genre que ceux d’ Eugenius Philalethes ont été publiés à Amsterdam et à Londres de 1664 à 1678 par un certain Eirenaeus Philalethes, “Anglais de naissance et cosmopolite de résidence”, qu’on est parvenu à identifier. Divers auteurs ont confondu ces deux Philalethes, et ils sont d’autant plus excusables qu’à ce qu’on dit, Eirenaeus lui-même aurait pris pour un de ses ouvrages le prénom d’Eugénius. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce qu’Eugenius Philalethes ait commis la même confusion, et, bien que se plaçant sous le signe d’Eugenius, se soit inspiré à la fois d’Eugenius et d’Eirenaeus”. En somme, tout a été fait, et même très bien fait, pour “brouiller les pistes”, et l’on ne s’y retrouve guère…

Ceux qui voudront d’autres renseignements sur les deux(ou sur les trois) Philalethes, “jeunes” ou non, et qui apparurent ça et là sous les noms de Georges Starkey, Dr Zhiel, Childe, Carnobius, pourrons consulter leThéosophisme de René Guénon (p.53) et aussi l’Histoire et Doctrines de Roses-Croix de Sédir (p.357). Quoi qu’il en soi ; Long Livers du avoir un certain retentissement dans le monde maçonnique d’alors, car M. Luquet nous apprend que cinq ans plus tard, un haut dignitaire de la Maçonnerie galloise, Edward Oackley, fit, devant la Loge londonienne  “aux Trois Compas” un discours qui fut imprimé ensuite dans un document officiel, et où il reprenait non seulement les idées de Long Livers, “mais jusqu’à des passages textuels, entre guillemets”. Signalons aussi trois points dont M. Luquet ne parle pas, mais qu’évidemment il ne peut ignorer. D’abord, s’il est bien vrai que Long Livers ne fait aucunement mention des Roses-Croix, cet ouvrage n’en est pas moins “signé” par eux, car, dans une partie de la préface qui précède celle que M. Luquet a traduite, il est parlé de certaines personnes “dont le nom doit être rayé pour toujours du livre M.” Il s’agit bien évidemment du “Livre M.” des Roses-Croix, qu’on a interprété par Liber Mundi ou même par Mutus Liber, et qui est le seul livre dans lequel ils consentaient à lire, eux qui n’écrivent point. Ensuite, il est fait mention de Long Livers et du “Frère” Eugenius Philalethes dans un ouvrage édité à Londres en 1723 “à l’usage des Loges” et intitulé Ebrielatis Encomium (“Eloge de l’ivresse”). Enfin divers auteurs ont pensé qu’Eugenius Philalethes était un certain Robert Samber, qui vivait dans l’entourage du duc de Montagu, successeur de Désagulier comme Grand-Maître des “Modernes”.

 – Dans le N° de septembre-octobre-novembre, article de M.J. Corneloup, intitulé “Le Centre du Monde”. L’auteur, dont on sait les tendances rationalistes, reconnaît très franchement qu’en l’espace d’une génération, une évolution s’est produite dans les milieux “cultivés” : alors qu’au début de notre siècle, les “spiritualistes” y étaient considérés comme des “originaux” ou même comme des “faibles d’esprit”,  ce sont maintenant les matérialistes  qui font figure d'”attardés” et de mini habentes. M. Corneloup est d’ailleurs aussi sévère pour les “forcenés du scientisme” que pour les “mousquetaires du néo-spiritualisme”. Mais il est visible que ses sympathies vont tout de même aux premiers : en effet, il s’attaque dans son étude à la conception traditionnelle selon laquelle l’homme est le “centre du monde” et il “met en face ce que nous savons aujourd’hui : que l’homme n’est qu’une infime moisissure”(sic). Et il ajoute : “La plus humble abeille, la plus chétive fourmi, peut croire qu’elle est faite à l’image de l’Etre Suprême qui lui a dicté son décalogue en créant l’univers spécialement pour que son espèce y prospère”. Nous nous demandons vraiment ce que pourrait être un Décalogue pour abeilles et pour fourmis. Mais nous étonnerons sans doute M. Corneloup en lui disant que si ces estimables insectes constructeurs étaient doués de la faculté de penser (ce que nous ne croyons pas, la pensée étant le propre du règne hominal), et si, dans leurs cogitations, ils se figuraient être l’image du Suprême Architecte des Mondes, ils auraient parfaitement “raison” ; car ils le sont en effet. Le Maçon qu’est M. Corneloup ne sait- il pas que l’abeille, insecte géomètre, “fille de la Lumière”, annonciatrice des premiers soleils, qui “rassemble ce qui est épars” en butinant toutes fleurs pour faire à l’homme ce don divin : le miel, “substitut” de l’ambroisie, est un des plus anciens symboles du Maître Maçon, symbole lui-même de l’Architecte de toutes choses ? Oui, l’abeille est bien créée à l’image de Dieu, et, plus précisément, elle est l’image du Verbe créateur ; ne vole-t-elle pas sur les lèvres du divin Platon, le chantre du Logos, et sur celles de saint Ambroise, dont le nom est le nom même de l’ambroisie, et dont la parole d’or, selon la liturgie catholique, “engendra au Christ saint Augustin, cette éclatante lumière de l’Eglise” ?

M. Corneloup, qui a si souvent siégé au Débir, ne sait-il pas que ce mot hébraïque est le nom même de l’abeille, Débora, tiré de la racine DBR, qui signifie “parole” ?  Lui qui dans ses “allocutions de bienvenue” aux nouveaux Maçons, a dû souvent leur transmettre l’antique devise initiatique : connaît  toi toi-même, sait aussi bien que nous que cette sentence était gravée au “Delta” du temple élevé par les Grecs à la “Vraie lumière”, et dont le “prototype”, construit en cire par les abeilles, fut transporté par le “Dieu géomètre” dans son royaume d’Hyperborée. M. Corneloup nous dira sans doute que ce sont là des “légendes”, qu’on ne peut mettre sur le même plan que les “certitudes de la science”, selon lesquelles l’abeille et l’homme sont des “moisissures”. Mais nous, qui ne professons aucun respect pour la “science” d’aujourd’hui, d’hier ou de demain, nous pensons avec la “tradition perpétuelle et unanime” que l’abeille, comme la fourmi, le papillon, le scarabée, comme tous les insectes, tous les animaux, toutes les plantes, toutes les pierres, comme toute la parure de la terre et toute l’armée des cieux, est un symbole de l’Être divin. “Car les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on considère ses ouvrages” (Epitre aux Romains, I, 20). Toutes choses étant des symboles de Dieu, sont “à l’image de Dieu”, le moins imparfait de ces symboles étant l’homme, qui occupe de ce fait une place “centrale” dans l’univers, et le plus parfait étant l’Homme Dieu, “qui a manifesté d’une manière ineffable les perfections du Père”. A la fin de son article, M. Corneloup donne aux “spiritualistes” et aux chrétiens en particulier quelques conseils que nous reproduisons in extenso : ” Mon seul désir est d’aider mon frère néo-spiritualiste à dépouiller ses métaux, et non de troubler sa foi, quelle qu’elle soit. Si, par exemple, sa vocation est d’être chrétien, j’applaudirai à ce qu’il s’y efforce. Mais qu’il soit chrétien dans l’humilité et dans la clarté. Quand il prononcera “Notre Père qui êtes aux cieux”, qu’il sache quel est ce Père, ce que sont ces cieux. Et il ne le saura que s’il a une nouvelle fois crucifié le Fils dans son cœur. Mais alors il pourra marcher sur le sentier initiatique en compagnie de l’athée qui, surmontant effroi et dégout, a frappé aux portes de la Mort et a découvert la Vie”. M. Corneloup nous croira-t-il si nous lui disons que le conseil de “Crucifier une nouvelle fois le Fils dans leur cœur” ne peut être écouté par des chrétiens qu’avec horreur ? Il connaît mal, ou plutôt il ne connaît pas du tout le christianisme, et c’est pourquoi nous ne lui en voulons point. Ce qu’un chrétien doit “crucifier dans son cœur”, c’est le “vieil homme” et il doit s’efforcer de “ressusciter avec le Christ”. Et quelle idée M. Corneloup se fait-il donc de la Foi quand il s’imagine qu’elle puisse être “troublée” par les arguments rationalistes ? Il est visible qu’il confond cette vertu théologale avec la simple “croyance”, semblable à la croyance que peut avoir un scientiste dans les “enseignements” éphémères et les “toutes dernières acquisitions” de la science du jour. Mais la Foi n’est pas un échafaudage de vérités partielles plus ou moins bien assemblées, et dans lequel il suffirait d’enlever un élément pour que tout s’effondre. C’est bien autre chose, qu’il serait trop long d’expliquer à M. Corneloup. D’autre part, nous ne cacherons pas notre surprise d’apprendre qu’il existe des athées qui ont “frappé aux portes de la Mort et y ont découvert la vie”. Jusqu’ici, ceux dont nous avions entendu dire à peu près la même chose, comme le Christ ou Dante, n’étaient pas précisément des athées. Il nous est difficile de croire M. Corneloup sur parole, car son affirmation est bien grave, et le monde est bien vieux… Pour terminer, nous ajouterons qu’il est impossible à un être limité, tel que l’homme, de se faire une idée claire de la divinité. Que M. Corneloup, dont le zèle pour la Maçonnerie est réel et sincère — et c’est pourquoi il nous est au fond si sympathique, et c’est pourquoi nous nous sommes attardé si longuement à essayer de le réfuter — que M. Corneloup lise donc le récit de la dédicace du Temple maçonnique (I Rois VIII, 10-12). “Au moment où les prêtres sortirent du lieu saint, la nuée remplit le temple de l’Eternel. Les prêtres ne purent y rester pour le service, car la gloire de l’Eternel remplissait le temple. Alors Salomon s’écria : L’Eternel veut habiter dans l’obscurité”. Rien ne peut évidemment s’opposer à la volonté d’En-Haut. Or Salomon nous l’affirme, l’Eternel veut habiter dans l’obscurité. C’est le “Maçon du Seigneur” qu’il nous faut croire, et non pas M. Corneloup. – Dans le même N°, M. Jean Piette a publié un article intitulé : “L’aspect métaphysique du Christianisme”, dont nous nous proposons de parler prochainement.

Denys Roman